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TRAVERSÉE EN EAU CLAIRE DANS UNE PISCINE PEINTE EN NOIR, PAR COOKIE MUELLER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATSUNIS) PAR ROMARIC VINETKAMME­RER, FINITUDE, 190 P., 17 EUROS.

- DIDIER JACOB

1969. Cookie Mueller, 20 ans, passe ses nuits ici et là, en mode hippie. Ses colocs, qui la trouvent insupporta­ble, ne tardent pas à la faire interner. « Ils avaient tout essayé, y compris ces tranquilli­sants naturels que sont les pommes de terre : au gratin, écrasées, bouillies, frites ou cuites au four. » Les patates à tous les repas pour soigner les excités du bocal. Voici une idée toute simple et écorespons­able que les candidats à la présidenti­elle devraient inscrire dans leur programme pour combler le trou de la Sécu. Mais revenons à Cookie. La madone de la contrecult­ure américaine se retrouve dans un asile psychiatri­que à San Francisco. Elle fait la queue dans la mauvaise file et se retrouve à subir, par erreur, des électrocho­cs. N’allez pas croire qu’elle s’en plaindrait. « Ça a un côté assez agréable, puisque ça a effacé de ma mémoire l’intégralit­é des cours débiles de littératur­e et des lectures obligatoir­es imposées par mes profs de lycée gauchistes. » Cookie Mueller, c’est une Patti Smith qui ne ferait jamais la gueule. Ou, selon le cinéaste undergroun­d John Waters, « la rencontre de Janis Joplin et de Jayne Mansfield, une “redneck” hippie avec une touche de glamour débridé. Elle n’a jamais mené une vie “saine”, “unsafe” était son surnom. Elle vivait en permanence au bord de la falaise ». Elle a tourné dans « Pink Flamingos », tenté de faire carrière comme gogo danseuse, traversé les EtatsUnis en stop un nombre incalculab­le de fois, couché avec Jimi Hendrix sans pour autant faire sa duchesse. Elle a tout essayé, tout brûlé, tout envoyé péter. Malgré l’incroyable succession de tuiles qui a marqué son existence, cette muse fêlée, aujourd’hui largement oubliée, allait toujours de l’avant. Toujours vers une autre tuile. Au fond, elle s’est éclatée jusqu’au feu d’artifice final : elle meurt du sida en 1989. Elle n’aurait pas su vieillir, de toute façon. Elle n’aurait pas supporté les années Facebook, le reflux de l’intelligen­ce à l’échelle mondiale. Avec toujours une allure folle (« robe transparen­te micro-mini portée sous une veste en velours noir »), elle raconte dans un livre au style parfaiteme­nt maîtrisé, à la fois élégant et dingue, ses souvenirs de défonce, de boulot, d’amour et de galère. Exhumés, traduits et joliment présentés par Romaric VinetKamme­rer, ses textes sont des LED phosphores­centes éclairant le fond d’une piscine moche – un peu de soleil dans la misère du monde.

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Cookie Mueller vers 1982, photograph­iée par son fils, Max.

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