Présidentielle La dernière campagne de Hollande
Loin du bruit et de la fureur, le président sortant parcourt la France comme jamais. Tout en alertant sur le danger du Front national, il multiplie les confidences… et peaufine son image pour l’avenir
Ne plus être et avoir été. Avoir tellement été. Assister à des meetings, distribuer des tracts, écrire des notes pour des candidats, se présenter à des élections, prononcer des discours, emporter des foules, être élu conseiller municipal d’opposition, député, conseiller général, maire, député européen, président d’un département et enfin président de la République. François Hollande a gravi tous les échelons, a humé le pays depuis plus de quarante ans… Bientôt, tout sera fini. Mais, à sa manière, il mène campagne, la dernière. Et, de sa place si particulière, il observe, jauge, juge celle des autres.
Dans l’avion qui le ramène de Crolles, petit village de gauche dans la banlieue de Grenoble, ce samedi 18 mars, après ce qui ressemblait à son dernier meeting, François Hollande se souvient de toutes les campagnes présidentielles auxquelles il a participé. Il le confie, les yeux pétillants: « Depuis 1974, je les ai toutes faites. » Toutes sauf celle-là. Il a commencé la politique il y a si longtemps : « J’étais déjà au meeting de l’Union de la Gauche en 1972 ; 100 000 personnes étaient venues porte de Versailles pour écouter Georges Marchais, François Mitterrand et Robert Fabre. La salle était communiste, Mitterrand avait dû s’imposer », se remémore-t-il, assis à sa place habituelle dans ce Falcon qui l’a transporté partout dans le monde depuis son élection. Convaincre les électeurs a été sa passion. Il avoue en expert: « Mitterrand en 74 fait une très belle campagne. Giscard aussi, une campagne moderne, jeune. Les plus belles campagnes sont les plus courtes. »
Celle qu’il mène en ce moment contre le FN sera la dernière. Il le sait. Elle a un goût singulier. Après avoir été longtemps impopulaire, il trouve aujourd’hui que les Français sont cléments. Alors, il en profite. Il se déplace sans cesse, est pris d’une boulimie de visites. « Les gens sont gentils », confie-t-il. Depuis longtemps ? «Pendant la loi travail, on ne pouvait pas sortir. Mais depuis septembre, c’est bien.» Et depuis son renoncement? « Oui, ça a changé », avoue-t-il. Depuis qu’il n’est
plus dans la course électorale, quelque chose a changé, l’air semble plus léger, la colère à son encontre, apaisée.
Bientôt, tout s’arrêtera, alors François Hollande savoure. Embrasse toutes les joues qui se tendent sur son passage, serre toutes les mains. Il aime les bains de foule. Il y a toujours puisé de la force. Quand il descend de voiture, devant la mairie de Crolles, il va voir ceux qui l’attendent. Une vieille dame s’approche : « Faut pas lâcher, faut rester.» « On lâche rien», répond François Hollande. Un homme lui lance: «J’étais au Bourget, j’étais à Toulouse.» « Oui, on a bien travaillé.» Un autre lui demande : « Comment vous allez ? » Il s’amuse : «Toujours aussi bien.» Ces Isérois sont émus de le voir. Plus tard, un homme lui dira: «On est fiers de vous.» Ces mots font du bien au chef de l’Etat. Quand un habitant lui demande «pour qui vous allez voter?», ou qu’un militant socialiste lui glisse « tu soutiens qui ? », François Hollande rigole, mais se garde de répondre.
Dans la mairie où cent jeunes qui viennent d’avoir 18 ans attendent d’y recevoir leur première carte d’électeur, le président de la République exhorte: «Exercer son droit, c’est un devoir, ça doit être un choix. […] Vous êtes appelés à être exemplaires. Vos élus aussi doivent être exemplaires. Vous devez avoir cette grande exigence pour ceux qui vous représentent.» Puis il met en garde ceux qui voteront pour la première fois en avril, eux qui
ne l’ont pas élu: « Il ne faut pas penser que celui ou celle que vous porterez à la présidence de la République sera forcément capable de tout résoudre. C’est impossible. […] Si tout devait être possible au cours d’un mandat, à quoi bon voter ensuite?» Un peu plus tard, 850 fans l’attendent dans un gymnase. Standing ovation à son arrivée, avant son discours et à la fin. Que c’est bon de sentir une salle vibrer! François Hollande défend son bilan et appelle son peuple au civisme: «Si vous êtes en colère, venez voter. J’ai compris qu’il y avait onze candidats, ça donne le choix. » Puis: « Je me souviens du 21 avril. Le principal, c’est d’aller voter et de ne pas attendre le lendemain du vote pour protester.» En sortant, son ami et ministre André Vallini devient nostalgique : «Il faudrait rembobiner le temps, revenir en décembre, et il dirait : “Je suis candidat”… »
Mais le chef de l’Etat a dû renoncer. Il s’est mis hors jeu. Il n’est plus qu’un observateur. «La démocratie est en danger quand les débats sont altérés par le bruit et la brume, quand les impulsions éclipsent la raison. La démocratie est menacée quand l’invective masque les perspectives, quand le tweet remplace le texte. La démocratie est menacée quand l’exemplarité vient à manquer. La démocratie est fragilisée quand les faits eux-mêmes viennent à être contestés, tronqués», a-t-il dit à Crolles.
Cette campagne, François Hollande la trouve «étrange». Accro de la politique aujourd’hui comme hier, il la suit attentivement. Il a regardé le meeting de Fillon au Trocadéro, pour évaluer la performance. Il a évidemment regardé, lundi dernier, le débat télévisé de TF1, après son dîner de travail avec Shinzo Abe, le Premier ministre japonais. Mais, confie-t-il à ses proches, il est persuadé que ces shows télévisés sont « une erreur ». Aux quelques journalistes qui le suivaient samedi en Isère, François Hollande a livré son sentiment, «à titre personnel et pas comme président de la République» : « Je suis très réservé. Jamais il n’y a eu de débat au premier tour. Le premier tour, c’est fait pour exprimer sa singularité, ses idées. Le débat, c’est au secondtour. Si tout est banalisé, si on “primarise”, si je puis dire, l’élection présidentielle, on émiette, on fragmente, on met tout en équivalence. » En clair, on banalise la candidature de Marine Le Pen.
Hollande, en campagne contre le Front national, le répète en boucle: «Elle peut faire 30%. » Partout, les préfets l’alertent sur le vote FN en zone rurale, la pénétration des thèses de l’extrême droite. Hollande a longtemps dit «elle peut gagner la présidentielle ». Il a tout de même été rassuré par les législatives aux Pays-Bas. Et conforté dans sa conviction que l’enjeu, c’est la participation: si les villes votent massivement, le score de Marine Le Pen sera moindre. Alors, au moins, il encourage les gens à voter. Laisser la place à Le Pen, c’est son cauchemar. « La sortie de l’euro, la sortie de l’Europe, c’est le village d'Astérix sans la potion magique», « le nationalisme n’est pas seulement un danger, c’est une impasse», a-t-il martelé à Crolles.
Dans quelques semaines, il quittera l’Elysée. Il créera une fondation, La France s’engage. Son équipe a déjà visité des locaux dans le quartier du palais pour y installer son futur bureau d’ancien président. Il continue d’avoir des idées pour ce monde qui a été le sien depuis qu’il est sorti de l’ENA. «Il faut imaginer la politique comme un passage», confie-t-il parfois à des proches. Pour lui qui a tant cumulé, il est temps de limiter le nombre de mandats consécutifs pour vivifier le monde politique.
Mercredi dernier, la salle des fêtes de l’Elysée est bondée. Le chef de l’Etat décore de « beaux Français ». Parmi eux, Denis Lefebvre, «historien, mais d’un monde un peu particulier, le monde socialiste», commence François Hollande, souriant. « Vous êtes l’auteur d’une encyclopédie, “le Socialisme pour les nuls”, ce qui en ces circonstances est fort utile… » Hilarité du public et notamment de deux invités –hasard des autres décorations ? –, Martine Aubry et Jean-Christophe Cambadélis. Hollande conclut en évoquant « le socialisme, né il y a deux siècles et qui n’a pas fini sa route ». La gauche en général et le PS en particulier restent la famille de François Hollande, même s’il émet quelques critiques en privé sur la campagne de Benoît Hamon.
Le président n’a pas dit pour qui il voterait et rien ne dit qu’il se prononcera avant le premier tour. Il laissera à son successeur « un pays qui va mieux, un pays plus digne, plus soudé» qu’il ne l’a trouvé en mai 2012, a-t-il expliqué dans ce qui restera son discours testamentaire. Il croit que le prochain président sera celui qu’il appelle «Emmanuel», celui à qui il a tout appris, celui qu’il a formé et qui l’a trahi.
En cette fin d’après-midi ensoleillée, le temps semble suspendu dans le salon des portraits, qui donne sur les jardins de l’Elysée. François Hollande, visiblement heureux, décore l’un «de nos plus grands comédiens». Michel Bouquet confiera après la cérémonie avoir été « touché par la profonde gentillesse » du chef de l’Etat et son hommage à sa carrière, à la pièce « “Le roi se meurt”, ce rôle que vous avez joué un nombre incalculable de fois ». « 810 », précise le comédien. Puis Hollande poursuit l’évocation de la pièce de Ionesco : « Ce roi Bérenger Ier, ce souverain qui apprend qu’il s’achemine inéluctablement vers sa fin et dont tous attendent la sortie de scène. » Puis, souriant : « Nous y sommes. » Plus que quelques semaines. «Je suis à la fin de ma vie. Je n’ai vécu que de la politique», glisse parfois François Hollande en privé. A un ami qui lui demandait «qu’est-ce que tu vas faire?», il a répondu: «Je ne sais pas. » Mais, devant un hollandais historique, il a pris soin de souligner: «Tu sais, je n’ai pas été battu… »
“LA SORTIE DE L’EUROPE, C’EST LE VILLAGE D’ASTÉRIX SANS LA POTION MAGIQUE.” FRANÇOIS HOLLANDE À PROPOS DU FN