L'Obs

Passé/présent Il était une fois l’Europe

Pourquoi le traité de Rome, signé il y a soixante ans, n’a rien perdu de son actualité

- Par FRANÇOIS REYNAERT

Ce 25 mars, on célèbre les 60 ans du traité de Rome qui, en créant un « marché commun » entre six pays, est considéré comme l’acte fondateur de notre actuelle Union européenne. On peut parier sans trop de risque que l’anniversai­re sera morose. Les europhobes se sentent pousser des ailes, les opinions publiques, chauffées au nationalis­me, sont plus indifféren­tes que jamais aux questions communauta­ires, et les Etats membres, incapables de se mettre d’accord sur une relance énergique du processus d’intégratio­n, se contentero­nt sans doute de quelques voeux pieux. Faute de pouvoir faire chanter des lendemains radieux, on peut au moins revenir sur le passé pour rappeler dans quelles circonstan­ces cette union qui est la nôtre a vu le jour.

L’idée européenne est portée au sortir de la guerre par un impératif simple: plus jamais ça. Puisque la haine entre les nations du Vieux Continent a été à l’origine des deux conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité, il apparaît à beaucoup que le seul moyen de s’en prémunir pour toujours est d’unir toutes ces nations entre elles. Churchill est le premier grand nom qui défend cette idée. A Zurich, en 1946, il en appelle à former des « Etats-Unis d’Europe » – tout au moins des Etats du « continent », puisqu’il semble en exclure son propre pays. La perspectiv­e séduit et fait son chemin. Après un impression­nant congrès à La Haye, elle débouche, en 1949, sur une nouvelle institutio­n, qui existe toujours, le Conseil de l’Europe (1). Il porte de nobles ambitions, en matière de promotion des valeurs, de droits de l’homme, de culture, si vastes, estiment certains militants, qu’elles risquent de ne jamais déboucher sur rien d’autre que de belles paroles. Ainsi un certain Jean Monnet, ancien homme d’affaires devenu commissair­e au Plan de De Gaulle, pousse-t-il de son côté à tenter une autre voie, très concrète, celle de ce que l’on appellera « l’intégratio­n européenne », c’est-à-dire le passage vers la mise en commun progressiv­e de nombreux secteurs d’activité. Il propose que l’on démarre ce processus avec le charbon et l’acier. Par sa déclaratio­n du 9 mai 1950, le ministre des Affaires étrangères français Robert Schuman fait sienne la propositio­n. Les dirigeants des trois pays du Benelux, de l’Allemagne et de

l’Italie acceptent de la tester. En 1952 naît la Ceca (Communauté européenne du Charbon et de l’Acier), et avec elle l’« Europe des Six ». Pour chacun, il est entendu qu’elle a vocation à s’étendre à bien d’autres domaines, même – ou surtout – les plus stratégiqu­es.

Le contexte s’y prête. Quelques années à peine après la fin du second conflit mondial, on redoute déjà le suivant: c’est la guerre froide, qui menace à tout instant de dégénérer. Les Soviétique­s, qui ont installé leur dictature dans toute l’Europe orientale, ont, en 1948, imposé un blocus à Berlin-Ouest qui n’a été sauvé que grâce à un spectacula­ire pont aérien américain. En 1950, juste après la prise de pouvoir des communiste­s en Chine, ceux-ci ont laissé leur allié nord-coréen envahir le sud de la péninsule, obligeant les Etats-Unis à y répliquer militairem­ent. Washington, non sans raison, est obsédé par la nécessité de réarmer l’Allemagne fédérale, en première ligne face à la menace russe. Seulement, pour de nombreux Français, moins d’une décennie après l’Occupation, la perspectiv­e de voir renaître un état-major allemand est tout simplement inenvisage­able. Cela donne à l’inventif Monnet une nouvelle idée : pourquoi ne pas contrôler les forces allemandes en les intégrant dans une armée européenne? C’est la CED, la Communauté européenne de Défense. Elle est proposée par la France, acceptée par tous les alliés, et finalement rejetée par la France, lors d’un vote négatif de l’Assemblée nationale française, à l’été 1954, après un débat qui a déchaîné le pays. Socialiste­s et démocrates-chrétiens, dans leur majorité, étaient pour. Une coalition hétéroclit­e de nationalo-gaullistes – vent debout contre ce qui leur semblait une insupporta­ble atteinte à la souveraine­té militaire – et de communiste­s – alliés aveugles de Moscou – a eu raison d’une idée dont le rejet laisse les militants européens meurtris et résignés. La seule option possible pour défendre leur rêve unificateu­r est décidément de s’en tenir à l’économie. A Messine, en 1955, les représenta­nts des Six annoncent qu’ils relancent la machine sur deux voies, qui donneront lieu, deux ans plus tard, non pas à un traité de Rome, comme on le lit souvent, mais à deux. Le premier prévoit de mettre en commun un certain nombre de moyens pour développer l’énergie qui semble alors porteuse d’un avenir radieux: il fonde Euratom, la communauté européenne de l’énergie atomique. Le second envisage la fin progressiv­e des droits de douane entre les membres, qui seront unis dans un « marché commun » pensé pour faire converger peu à peu leurs économies. La Communauté économique européenne, ancêtre de notre Union, était née. Soixante ans plus tard, étant passée de 6 à 28 membres, elle est aussi – pourquoi l’oublier? –, pour ce qui est du commerce extérieur, de l’agricultur­e, de l’industrie, la première puissance économique mondiale.

(1) Fondé par 10 pays (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, France, Italie, Norvège, Suède, Danemark, Royaume-Uni, Irlande), il en compte désormais 47.

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1957 Le 25 mars, à Rome, la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Italie et la RFA signent le traité de Rome, instituant la Communauté économique européenne.
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2017 Le 12 mars, à Berlin, le mouvement « Pulse of Europe » rassemble des milliers de manifestan­ts inquiets des attaques populistes contre l’Union.

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