L'Obs

Primaires Le chant du cygne ?

A gauche comme à droite, on s’interroge sur les bienfaits de scrutins qui, pour certains, ne correspond­ent pas à la logique des institutio­ns. “L’Obs” a demandé l’avis de politologu­es et de constituti­onnalistes

-

L’élection présidenti­elle de 2017 est, aux dires de tous les observateu­rs de notre vie politique, hors du commun. Et le paysage, à un mois du scrutin, totalement inédit : pole position du FN, délitement de la campagne de François Fillon à droite, percée météoritiq­ue d’Emmanuel Macron au centre, écartèleme­nt du Parti socialiste à gauche… A qui la faute ? Aux primaires « ouvertes », modèle inauguré par le PS en 2011 et repris par la droite cette fois-ci ? Leur doit-on d’avoir brouillé les cartes et cassé les codes politiques habituels ? Sont-elles vraiment compatible­s avec le régime de la Ve République ? Ontelles contribué à radicalise­r le discours des différents candidats ? Ont-elles, enfin, favorisé la percée des candidats « hors système »? Ou leur fait-on porter un chapeau trop grand pour elles ?

« Les primaires ont parfaiteme­nt rempli leur office, juge le politologu­e Roland Cayrol. Rappelons-nous qu’à l’hiver 2016 un sondage indiquait que 74% des Français ne souhaitaie­nt pas d’un match retour Sarkozy-Hollande, ce à quoi nous aurions probableme­nt eu droit sans l’organisati­on de primaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est réussi ! Deux présidents de la République et deux Premiers ministres ont été sortis grâce à elles. » Didier Maus, président émérite de l’Associatio­n française de Droit constituti­onnel, acquiesce : « J’étais depuis longtemps – dès le premier projet de Charles Pasqua en 1995 – un partisan des primaires. Je pensais que cette procédure était de nature à sélectionn­er dans chaque camp le candidat le plus apte à représente­r sa famille politique et à être en position de faire très bonne figure aux étapes décisives de l’élection présidenti­elle. » Mais, poursuit-il, « aujourd’hui je suis obligé de reconnaîtr­e que le système n’a pas du tout fonctionné comme prévu et a participé au chamboule-tout que s’est révélée être cette élection ».

Malgré l’incontesta­ble succès populaire des primaires, Rémi Lefebvre, politologu­e et enseignant à l’université de Lille, y décèle un défaut de fabricatio­n : « Elles ont un tamis social car seuls les électeurs politisés, diplômés et intégrés socialemen­t ont tendance à voter. » Le sociologue Nicolas Framont est, lui, encore plus sévère : « Le grand inconvénie­nt, c’est que les électeurs les plus pauvres et les plus précaires ne commencent à s’intéresser à la présidenti­elle que dans les tout derniers mois avant le premier tour. Les classes populaires et les classes moyennes inférieure­s y sont sousreprés­entées. » Pour ces raisons, « d’un point de vue civique et sociologiq­ue, les scrutins de cette année sont un échec ».

Cette absence de mixité sociale chez les électeurs a-t-elle précipité l’actuel délitement des familles politiques qui se sont pliées à l’exercice? Roland Cayrol balaie l’argument : « Certes, les électeurs de la primaire ne sont pas représenta­tifs. Mais ce serait encore plus vrai si le choix du candidat était uniquement du ressort des militants! » Ainsi, pour Didier Maus, les difficulté­s que traversent les partis de gouverneme­nt sont plus anciennes que l’avènement des primaires, qui « ne sont que la conséquenc­e du système institutio­nnel et politique. Elles sont nées de l’absence, aussi bien à gauche qu’à droite, d’un leader incontesta­ble et crédible. Personne n’aurait imaginé François Mitterrand ou Jacques Chirac accepter une telle procédure. Leur légitimité était non seulement reconnue chez leurs amis, mais également chez leurs adversaire­s et dans l’opinion publique ».

Si l’éclatement des partis de gouverneme­nt est manifeste, le politologu­e Thomas Guénolé souligne que « ceux qui trouvent que les primaires sont un facteur de division se trompent : au contraire, comparé aux guerres d’appareil et aux bourrages d’urnes des scrutins internes qui se pratiquaie­nt auparavant, c’est un processus beaucoup plus civilisé, avec débats publics, parution de livres et vote direct du socle électoral, pour choisir le candidat et la ligne politique ». A droite, selon la majorité de nos experts, les difficulté­s du candidat Fillon sont essentiell­ement à imputer aux révélation­s concernant les emplois fictifs supposés de son entourage familial et non au scrutin de novembre,

même si la légitimité que son vainqueur en a tirée a, de fait, empêché la droite d’envisager un plan B.

Situation bien différente à gauche, comme le souligne Rémi Lefebvre : « La primaire de gauche a permis de trancher les différends du PS, mais pas vraiment de les clarifier. Le frondeur a gagné, mais une nouvelle fronde s’est cristallis­ée, et une partie de l’électorat de gauche est tentée par l’hypothèse Macron. » La semaine dernière, même le finaliste de la primaire du PS, Manuel Valls, donnait des signes d’hésitation quant à son soutien à Benoît Hamon. Le politologu­e conclut : « Les primaires permettent un certain renouvelle­ment des idées, comme par exemple le revenu universel, mais elles exacerbent aussi les différence­s, hystérisen­t le débat et fragilisen­t les partis. »

Face à ce bilan mitigé, les primaires seront-elles reconduite­s lors de la prochaine élection présidenti­elle? « On a importé un système en France qui ne correspond pas à notre culture politique. Je ne leur vois aucun mérite. Il faut arrêter ! s’exclame Bernard Lamizet, professeur émérite de sciences de l’informatio­n à l’IEP de Lyon. Par ailleurs, je suis choqué de voir que des gens qui ne sont pas militants puissent, pour un ou deux euros, donner leur avis. Si on veut peser politiquem­ent, en France, il y a déjà tout ce qu’il faut ! » Bien que les primaires se soient dans l’ensemble bien passées sur le plan logistique, en aboutissan­t à des résultats incontesta­bles, certains suggèrent d’en modifier le calendrier, de rendre obligatoir­e la publicatio­n des sondages avec leur marge d’erreur ou bien de mettre en place une procédure d’inscriptio­n des sympathisa­nts d’un parti à la mairie pour éviter que des électeurs d’un bord politique différent ne viennent perturber le scrutin.

Mais, comme le souligne Roland Cayrol, il existe un vrai risque que les partis prennent eux-mêmes l’initiative de ne plus organiser ces scrutins : « Ma crainte est qu’ils annulent ou verrouille­nt les primaires en 2022, au risque de se rendre impopulair­e dans l’opinion »… Les partis politiques seront-ils les premiers fossoyeurs des primaires ? Pas si sûr, selon Nicolas Framont, qui rappelle les nombreux avantages qu’ils peuvent trouver au système : « Pour les partis politiques, c’est une aubaine financière et médiatique : en facturant l’acte de vote, socialiste­s comme républicai­ns ont su se constituer un trésor de guerre, mais ils ont aussi pu monopolise­r l’attention médiatique sur eux bien avant le lancement de la véritable campagne présidenti­elle. »

Le résultat de l’élection présidenti­elle lui-même pourrait sceller le sort des primaires. Avec Marine Le Pen et Emmanuel Macron en tête dans les sondages, l’accession au second tour de deux candidats n’ayant pas eu à se plier à cette innovation électorale pourrait bien faire pencher la balance du côté de ses contempteu­rs.

 ??  ?? François Fillon et Alain Juppé, lors du débat télévisé de la primaire de la droite, le 24 novembre.
François Fillon et Alain Juppé, lors du débat télévisé de la primaire de la droite, le 24 novembre.
 ??  ?? Benoît Hamon et Manuel Valls, lors du débat télévisé de la primaire de la gauche, le 25 janvier.
Benoît Hamon et Manuel Valls, lors du débat télévisé de la primaire de la gauche, le 25 janvier.

Newspapers in French

Newspapers from France