Les transports du cerveau
Selon le psychiatre Philippe Jeammet, nos conduites seraient régies par nos émotions, jusqu’à devenir aberrantes
Ancien directeur du service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut Montsouris, PHILIPPE JEAMMET publie « Quand nos émotions nous rendent fous » (en collaboration avec Caroline Brizard) chez Odile Jacob.
Le cerveau est un outil infiniment puissant dans lequel les émotions jouent un rôle moteur. Nos comportements s’expliquent ainsi par celles-ci, au point que certains êtres fragiles seraient contraints de se comporter de façon étrange pour rétablir leur « homéostasie psychique », cet équilibre chimique du cerveau. Telle est la thèse audacieuse que Philippe Jeammet développe dans son dernier essai, « Quand nos émotions nous rendent fous », écrit, d’une plume limpide, avec Caroline Brizard, journaliste à « l’Obs ». « Je suis convaincu que les maladies mentales sont des dérèglements des émotions », soutient-il donc. Quand celles-ci sont impérieuses, « la capacité réflexive n’opère plus ». Le propos a de quoi séduire. Il pose la question fondamentale du mal, qui traduit selon lui une contrainte psychique. Une approche nouvelle, voire iconoclaste. Car on peine à accepter l’idée qu’Adolf Eichmann, un des auteurs de la Solution finale dans l’Allemagne nazie, n’ait pas été totalement responsable de ses actes.
Le psychiatre fait la synthèse des plus récentes découvertes des neurosciences, et affirme que les médicaments sont des « outils de liberté ». Car la chimie peut desserrer l’étau émotionnel et les réactions qu’il déclenche, plus ou moins destructives pour l’individu. De même, le postulat de la continuité du vivant, depuis les êtres élémentaires jusqu’à l’homme, en passant par les animaux qu’il a observés pendant son enfance en Dordogne – les débats politiques à la télévision lui rappellent les combats de basse-cour –, apporte une dimension universelle à sa démonstration. Comme l’animal, l’homme a son « territoire ». Mais, du fait de sa conscience supérieure, son territoire s’élargit à tout ce à quoi l’homme accorde de la valeur, depuis l’image qu’il a de lui-même jusqu’aux idées qu’il défend… Quand il se sent menacé, l’être humain se ferme, il attaque, il se prive de l’échange avec l’autre, et peut aller jusqu’à se détruire lui-même. Le psychiatre présente là un outil de décryptage précieux et nouveau pour comprendre nos conduites.
Pour étayer son propos, Philippe Jeammet observe notre société et pioche parmi les écrivains et les cinéastes dans lesquels il se reconnaît. Diderot aurait aussi pu y figurer, lui qui, dans le « Paradoxe sur le comédien », considère qu’un acteur, jouant un rôle de composition, peut très bien exprimer des émotions qu’il ne ressent pas. On retient de la lecture de ce livre le regard inspiré et la capacité à définir une morale de la vie. Car nous pouvons échapper en partie à nos contraintes émotionnelles et choisir – en partie aussi – d’opter pour l’échange et la créativité, qui sont l’essence du vivant.