L'Obs

Les deux H

HEMINGWAY, HAMMETT, DERNIÈRE, PAR GÉRARD GUÉGAN, GALLIMARD, 234 P., 18 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Avant de mourir la même année 1961, à six mois d’intervalle, l’un dévoré par le crabe, l’autre en se tirant un coup de fusil, Dashiell Hammett et Ernest Hemingway se sont donc retrouvés une dernière fois. C’est un scoop et c’est Gérard Guégan, l’auteur séditieux des « Irrégulier­s », qui le livre. On aurait tort d’en douter. N’a-t-il pas réussi, dans trois fables récentes, à retrouver, rue de l’Arcade, le bordel d’où sortit Stendhal avant d’être victime d’une apoplexie, l’appartemen­t de la rue de Montpensie­r où Aragon coucha avec un jeune apparatchi­k soviétique et le numéro de la rue Saint-Ferdinand où, la veille de son suicide, Drieu fut enlevé par une bande de résistants communiste­s? Pour cette nouvelle enquête littéraire, l’inspecteur Guégan a quitté Paris et s’est envolé pour les Etats-Unis, où il reconstitu­e l’ultime pèlerinage de Hemingway. Dans le taxi de la belle et noire Geena, le romancier de « l’Adieu aux armes » part pour Fort Abendsen (ne cherchez pas cette ville), à 50 miles de New York. Il veut s’expliquer et se réconcilie­r avec Hammett, qui l’a traité de « vipère lubrique », « gâteux misogyne », « Superman de bal costumé ». Autrefois amis, les deux H majuscules s’estiment autant qu’ils s’exaspèrent. Ils ont en commun d’avoir du génie et d’être surveillés sans répit par le FBI d’Edgar Hoover. En commun aussi d’être, à 60 ans, déjà des croulants. Trop de folies, de nuits blanches, de combats, de tabac, d’alcool et de remords. Arrive le moment des retrouvail­les, que Guégan dialogue et met en scène comme une pièce de théâtre, avec maestria. Hemingway le nobélisé et Hammett le communiste se chamaillen­t, se suspectent, se rabibochen­t au pouilly-fuissé et au pur malt, sauvent « Tueurs », du premier, et « Moisson rouge », du second. Jusqu’au moment, qu’on attendait, où les secrets sont levés, où le passé rattrape le pape du roman noir. Une sale histoire : le lynchage, en 1917, d’un militant ouvrier après que le jeune Hammett eut infiltré son syndicat. Et puis Hemingway parle du « Jardin d’Eden », qu’il ne verra pas paraître, et Hammett, de « Tulip », qu’il ne finira jamais. Le soleil se couche sur ce vieux couple qui peine à se séparer. C’est à la fois saisissant, étincelant et d’une mélancolie poignante. Mais d’où vient que Gérard Guégan sache si bien faire parler les morts ?

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Ernest Hemingway lors de vacances en Italie ( 1948).

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