Business Gérard Brémond, tout schuss en Chine
Le fondateur d’Avoriaz ouvre des stations de ski près de Pékin et y installe des résidences Pierre & Vacances. Pour la plus grande satisfaction des autorités locales
C’est un sentiment étrange et surprenant. Au premier coup d’oeil, en arrivant à la station de ski de Thaiwoo, à 200 kilomètres de Pékin, aucun dépaysement. On pourrait être en Amérique du Nord ou en Europe. Une architecture banale, des boutiques Salomon ou The North Face, des télécabines construites par le français Poma... « Regardez, là, ce sera le Club Med, il est déjà bien avancé, indique Qi Hong, le propriétaire de la station. Et de l’autre côté, entre l’hôtel Hyatt et l’auberge de jeunesse, c’est l’espace réservé pour la résidence Pierre &Vacances. » A côté de lui, le promoteur français Gérard Brémond lève des yeux qui pétillent. Débarqué la veille de Paris, le fondateur du groupe Pierre & Vacances-Center Parcs (PVCP) ne montre aucun signe de fatigue. Il agite les mains de plaisir devant cette nouvelle vie qui commence, juste avant son 80e anniversaire. Le globe-trotter vient spécialement pour « toucher » les terrains qu’on lui propose et poser ses pions sur le marché balbutiant du loisir chinois. Le roi des résidences de montagne est vu ici comme un gourou. Son savoir-faire doit aider le pays à réussir un nouveau défi : prendre sa part du marché de l’or blanc, une priorité nationale depuis que la Chine a obtenu l’organisation des jeux Olympiques d’hiver de 2022. Thaiwoo a ouvert ses premières remontées la saison dernière, et le richissime Qi Hong voit déjà la vie en très grand : « D’ici à 2022, nous aurons construit 30 000 chambres pour recevoir 5 millions de visiteurs par an. Quand j’ai acheté ces terrains il y a huit ans, il n’y avait rien dans la région et personne n’imaginait qu’on allait décrocher les JO. Je me disais simplement que le ski avait un bel avenir devant lui... » Qi Hong a été visionnaire. Aujourd’hui,
il faut plus de trois heures – quand tout roule bien – pour aller de Beijing à Chongli, une ville de la région Hebei en plein boom, surchargée de grues et de tours en construction, puis vingt minutes de plus sur une petite route de campagne pour atteindre son domaine. Chongli sera le centre logistique des JO car elle est au milieu d’une douzaine de (futures) stations dans lesquelles se répartiront les épreuves. Le détail ne sera connu qu’à la fin de l’été. Une nouvelle autoroute, déjà bien avancée, réduira le trajet depuis Beijing à moins de deux heures, et surtout, une ligne de TGV reliera les deux cités en moins de trente minutes, afin de respecter la promesse faite au Comité olympique. Officiellement, les JO se tiennent à Beijing, pour permettre à la ville d’être la première au monde à avoir organisé et les Jeux d’hiver, et les Jeux d’été ! Pour décrocher ce nouveau titre, Chongli doit devenir une simple banlieue de la mégapole de 23 millions d’habitants. Qi Hong, lui, se retrouve en pole position pour profiter de ce boom : tout le monde veut s’installer chez lui. Y compris Gérard Brémond. « Le problème, ce n’est jamais de trouver le financement, c’est d’avoir le bon emplacement », explique le doyen du tourisme. Le prix du foncier en Chine est devenu plus cher qu’en Europe, mais pour développer l’industrie du tourisme, et sur ordre du gouvernement, les municipalités font de gros efforts pour libérer les mètres carrés. Alors, le créateur d’Avoriaz, l’inventeur des locations Pierre & Vacances et de la résidence partagée, le développeur des Center Parcs sur toute l’Europe continentale, n’a plus qu’un rêve : transformer les Chinois en vacanciers comme les autres. Il veut rebâtir une cité idéale de Aà Z, comme il l’a fait il y a cinquante ans. Et il est excité comme une puce.
En plus du contrat de Thaiwoo, estimé à 150 millions d’euros, il a aussi trouvé un sommet vierge de 2 160 mètres, à Vanke, juste à côté. Pour le moment, c’est un vaste espace vide en dehors de quelques champs où les paysans cultivent des choux et des roses très parfumées. « Ce serait un défi passionnant… La station sera construite sur un terrain plat et nous devrons penser aux vues depuis les appartements des immeubles. Il faudra aussi intégrer tous les arbres, la rivière, et même garder les cultures... C’est un terrain magnifique qui convient aussi bien à l’hiver qu’à l’été, ce qui est impératif si l'on veut être rentable », jubile le Français. Le contrat de Wanke n’est pas encore signé, ni même chiffré, mais Brémond visualise déjà « sa » ville de 20 000 habitants : « Je ne peux pas m’en empêcher. Quand je regarde un paysage, j’imagine son potentiel . » Une seule inquiétude pour le moment : « Peut-on faire à la fois un Pierre & Vacances à Thaiwoo et une nouvelle station à moins de 10 kilomètres ? Ça ferait peut-être beaucoup... ».
Beaucoup ? Même pas certain. « Les sports d’hiver seront aux classes moyennes ce que le golf a été aux
premiers nouveaux riches. Tout le monde veut s’y mettre », explique Xia Nong, qui dirige la société commune que le groupe PVCP a créée avec le géant du tourisme local, HNA. Gérard Brémond est bien placé pour profiter de ce nouveau marché : il fait partie des entreprises occidentales les plus convoitées dans cet immense pays. « Il y a trois ans, nous avons reçu plusieurs propositions de rachat des Chinois », se souvient le PDG. Il n’était pas le seul sous la mitraille financière : le Club Med a été acheté par le groupe financier Fosun et les Hôtels du Louvre (Campanile, Golden Tulip...) par l’hôtelier Jin Jiang, devenu également le premier actionnaire du groupe Accor, contre sa volonté. Les Chinois rêvent aussi de prendre une participation dans la Compagnie des Alpes pour gérer leurs remontées mécaniques, une opération bloquée jusqu’à présent par les stations savoyardes, qui voient d’un mauvais oeil cette nouvelle concurrence. Le gouvernement chinois veut que cette nouvelle industrie soit contrôlée par des entreprises locales : les touristes pourront voler avec des compagnies chinoises, dès que possible, dans des avions chinois, et aller dans des hôtels appartenant à des sociétés également chinoises. Tout sera sous contrôle, sur le modèle qui a si bien réussi aux géants locaux d'internet. « Les chiffres sont déjà très importants : nous avons compté l’an dernier 140 millions de touristes dans notre classe moyenne, estimée à 400 millions de personnes et 26 millions d’entre eux sont allés à l’étranger. La destination la plus populaire est désormais le Japon », explique Xia Nong.
Dans ce paysage de guerre économique, le quasioctogénaire a manoeuvré en grand stratège : « J’ai refusé les offres de rachat, mais le groupe HNA a accepté toutes mes conditions. » HNA est l'un des nouveaux géants de l’économie chinoise. Né en 1993, ce groupe privé s’est développé autour de la compagnie aérienne Hainan Airlines. Son créateur, Cheng Fen, est maintenant actif aussi bien dans l’aérien (il est le principal actionnaire de la compagnie française Aigle Azur, il a racheté Servair, l’ancienne filiale de restauration d’Air France et il est maintenant candidat au rachat d'Aéroports de Paris), que dans l’hôtellerie puisqu’il est devenu l’an dernier le principal actionnaire des hôtels Hilton, numéro deux mondial du secteur, juste après avoir avalé les hôtels Carlson. Au sein de PVCP, il s’est contenté d’acheter une participation de 10%, pouvant passer à 15%, accompagnée d’un droit de consultation en cas de vente du groupe. « Une très belle opération pour eux : ils ont acheté l’action à 25 euros et elle a doublé de valeur depuis », souligne Gérard Brémond, qui a gardé 40% des parts (deux tiers des droits de vote) et refuse d’aborder le sujet de sa succession. Les Chinois
ont aussi obtenu la nomination de deux administrateurs. En échange, ils financent les projets locaux de PVCP, à hauteur de 1 milliard d’euros d’ici à trois ans. C’est essentiel pour le développement du français en Chine : ses résidences seront prépayées par des investisseurs locaux.
Le rôle des Français sera seulement de les gérer, et d’encaisser les redevances. Brémond s’est ainsi assuré la construction de quatre à cinq Center Parcs (rebaptisés localement Sun Parks) ou de résidences Pierre & Vacances, et il compte bien sur l’appétit d’autres financiers, comme Riverside, pour atteindre son objectif d’une centaine de sites en Chine. « Ce sont nos recettes et notre savoir-faire qui intéressent HNA. Nous proposons des loisirs familiaux, ce qui n’existe pas encore ici », explique Brémond. Ce que confirme Chuck Yu, le directeur de l’innovation du groupe HNA : « En Chine, on a des centres aquatiques, des parcs d’attractions ou des zoos mais rien de comparable aux Center Parcs. C’est une nouvelle conception des loisirs pour nous. » Pour Brémond, il faudra « dix ou quinze ans avant qu’ils s’habituent ». Mais lui devra s’adapter : en Chine, on part toujours avec les grands-parents, il faudra donc de plus grands appartements. Les Chinois apprécient aussi un encadrement bien plus poussé qu’en France dans l’organisation du temps libre. Il y aura donc plus de personnel.
Le plus rassurant pour l’homme d’affaires dans cette aventure, c’est que la mutation sociétale se fait dans un cadre officiel : le Parti la pousse dans ses discours et incite tous les fonctionnaires et entreprises publiques à accompagner le mouvement. « Le gouvernement veut promouvoir la consommation et les vacances », dit Xia Nong. Lui-même est un bon exemple de ce changement : il pilotait le développement des hôtels de luxe Hyatt puis Starwood. Quand un chasseur de têtes lui a présenté le « produit Center Parcs », il a immédiatement décidé de rejoindre l’équipe française : « Rien n’existait chez nous pour les familles. Vous partez en vacances dans un hôtel, les enfants traînent, s’ennuient... » Occuper les familles, c’est un savoir-faire que Brémond développe depuis cinquante ans et que cet amoureux du jazz – il a racheté la radio TSF et écoute au moins deux heures de musique chaque soir – entend bien continuer dans ce nouveau cadre, le plus longtemps possible : « Je suis intemporel, mais pas immortel, je le sais bien ! Le secret, c’est de vivre dans l’instant en préparant l‘avenir. » Il sourit, puis regarde à nouveau les espaces vides devant lui : « Je ne veux pas m’arrêter.»
LA PRÉSENCE FRANÇAISE EN CHINE Les 1 600 entreprises françaises implantées en Chine ont créé 570 000 emplois dans ce pays, dont 64% pour les 15 entreprises les plus importantes. Elles réalisent un chiffre d’affaires estimé à 80 milliards d’euros (en 2015). Cela concerne notamment le secteur automobile (PSA, Renault, Valeo…). Les marques de luxe (LVMH, Kering) ou de grande distribution (Carrefour) sont également bien présentes.