L’IVG, 43 ANS APRÈS
En 2017, l’avortement est devenu un acte théoriquement accessible à toutes, mais toujours compliqué, et souvent mal compris
Une femme sur trois y aura recours une fois dans sa vie. Deux cent mille IVG sont pratiquées chaque année en France. Est-ce peu, est-ce beaucoup ? Ce n’est ni plus, ni moins qu’au temps de Simone Veil. La légalisation de l’avortement n’a pas jeté des flopées de femmes inconscientes dans une vaste débauche abortive, comme le craignaient les députés vociférants de 1974. Son remboursement en 1982 non plus, contrairement à ce que prédisaient les mêmes hommes. L’IVG légale et remboursée a juste permis que moins de femmes en pleurent, en souffrent, en meurent.
Des femmes qui, dans leur grande majorité, « se décident pour l’IVG parce que leur grossesse arrive alors qu’elles sont dans une relation de couple non stable », précise Nathalie Bajos, sociologue, démographe, directrice de recherche à l’Inserm. La sexualité des femmes a un tantinet évolué depuis les années 1970. Elles ont plus de partenaires, se mettent en couple plus tard, font leur premier enfant à 29 ans (au lieu de 24). Les risques de grossesse non désirée sont plus importants, alors que la contraception, elle, est restée très imparfaite. Jeune, on privilégie le préservatif. Pas toujours fiable, pas toujours là quand il le faut. En couple, la femme opte le plus souvent pour la pilule. Enfin, si son corps supporte la chimie. Et si elle ne l’oublie pas. Une pilule par jour pendant trente ans, ça fait combien d’occasions de se retrouver sans sa plaquette dans sa trousse de toilette ? Dans l’éventail clas-
sique des contraceptifs, citons aussi le stérilet. Rarement proposé aux femmes qui n’ont pas déjà eu d’enfant parce qu’il peut causer des grossesses extra-utérines et des infections, il fait en plus l’objet d’une polémique pour ses effets secondaires. Un bonheur… « L’échec fait partie de la contraception. La société doit comprendre que l’avortement fait partie intégrante de la maîtrise de la fécondité », résume Nathalie Bajos.
Sauf que la société, quarante-trois ans après, a toujours un peu de mal à l’admettre. Certes, l’IVG a pignon sur rue avec un numéro Vert (0800-08-11-11), des centres de Planning familial un peu partout en France, des médecins et des sages-femmes formés... 75% des Français s’y disent favorables (ça fait quand même 25% qui sont contre). Mais « dans beaucoup de têtes, l’IVG ne devrait pas exister, la femme est coupable, témoigne Véronique Sehier, coprésidente du Planning familial. L’IVG reste un acte à part ». Un acte silencieux, caché, honteux. Une affaire de femmes. « Dans la salle d’attente, on était une dizaine, et seulement deux hommes, ironise Julie, 40 ans. C’est connu, les bébés se font seule ! » Julie estime avoir été bien traitée, dans cet hôpital de la banlieue parisienne. D’autres témoignent de pratiques d’un autre temps : l’une, obligée de regarder dans le seau le fruit de l’expulsion. Une autre qui s’entend dire après l’opération : « Maintenant, plus de bêtises, hein ! » Ou cette troisième, repartie chez elle avec ses médicaments abortifs « sans explication sur la suite ». La suite ? Des saignements traumatisants, un mois de maux de ventre : « Je faisais une “rétention”, tout n’était pas parti, mais personne ne m’avait dit que ça existait ! J’ai dû subir un curetage potentiellement dangereux pour mes futures grossesses. Je n’ai pas été accompagnée. On me dit que je n’ai pas eu de chance, mais en parlant autour de moi, j’ai trouvé trois autres femmes ayant vécu la même chose. »
Parallèlement à ces errements plus ou moins insidieux, l’IVG déchaîne encore aujourd’hui les passions d’une frange d’excités aussi minoritaires que dynamiques. Ces « Survivants » (voir encadré) et autres ne s’accrochent plus comme autrefois aux grilles des hôpitaux. Ils s’activent sur le web, ont créé un numéro Vert et des sites trompeurs qui prétendent informer alors qu’ils cherchent à dissuader et culpabiliser. Tellement efficaces que l’Assemblée nationale a dû voter un projet de loi contre « l’entrave numérique à l’IVG », et lancé son propre numéro Vert. « Vingt-cinq mille appels en dix-huit mois, se félicite Véronique Sehier, pour qui tout reste encore à faire. Il n’y a pas eu de nouvelle campagne de communication depuis, et ça manque. La bataille de l’IVG, c’est aussi celle de l’information. » On a testé le mot « IVG » sur les moteurs de recherche. Le numéro Vert et le site du gouvernement apparaissent bien, mais au coudeà-coude avec ceux des anti-IVG. La bataille n’est pas gagnée.