“MACRON TIENT UN DOUBLE DISCOURS”
ENTRETIEN AVEC LAURENT BERGER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CFDT
Pourquoi estimez-vous nécessaire de prendre position sur le droit d’asile ?
Nous avons un devoir moral, un devoir de valeurs, celui de faire face à la détresse humaine. Or, aujourd’hui, que faisons-nous ? On demande aux associations de trier entre les bons et les mauvais migrants ! Je trouve cela inacceptable. Comment peut-on tolérer que l’on brûle leurs duvets ? Comment peut-on accepter de voir des jeunes s’abriter dans des sèchelinge pour se réchau er ? Si l’on continue comme cela, bientôt, nous ne pourrons plus nous regarder les uns les autres.
Au plus fort de la crise migratoire, en 2015-2016, la France a accueilli beaucoup moins de migrants que ses voisins européens. Pourquoi, selon vous ?
C’est une forme de paresse et de lâcheté idéologique. Il y a une obsession de l’extrême droite depuis des décennies. On a des gouvernants, de droite comme de gauche, qui ont théorisé l’idée qu’une politique plus humaine en matière d’accueil des réfugiés favoriserait l’extrême droite. Or cela n’a pas empêché Marine Le Pen d’être au second tour de l’élection présidentielle. De plus, il n’y a plus réellement de débat sur cette question dans les partis. C’est une vraie défaite des forces de progrès. On doit réfléchir dès aujourd’hui à la façon d’accueillir les réfugiés de demain, par exemple les réfugiés climatiques qui seront de plus en plus nombreux. On ne peut pas se contenter de réponses simplistes du type « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Quand nous arrivons à les intégrer, le gain économique mais aussi sociétal pour le pays est supérieur au coût.
Vous plaidez pour une politique européenne en matière de droit d’asile.
Oui, la CFDT milite pour la mise en place d’un o ce européen de l’asile. Notre gouvernement a plaidé pour une inspection du travail européenne qui pourrait examiner la question des travailleurs détachés, et celle de l’harmonisation sociale entre les di érents pays. C’est une bonne idée. De la même façon, un Ofpra (O ce français de Protection des Réfugiés et Apatrides) européen pourrait gérer des centres d’accueil (hotspots) dans les pays aux frontières du continent (Italie, Grèce), et ensuite organiser la répartition des réfugiés en fonction des capacités d’accueil des di érents pays.
Quel regard portez-vous sur l’action d’Emmanuel Macron vis-à-vis des migrants ?
Le président a une attitude à double face. Il y a une face séduisante, avec un discours respectueux du droit d’asile et des engagements pour améliorer les conditions d’accueil des demandeurs, ainsi que la volonté de réduire les délais de traitement des dossiers que la CFDT soutient.
Et l’autre face ?
C’est la face sombre, avec sa volonté de faire le tri entre les bons et les mauvais migrants. Les parlementaires qui vont étudier ces textes doivent faire bien attention : nous ne devons pas perdre notre âme. Le président de la République se targue de respecter ses engagements de campagne, et, que l’on soit d’accord ou pas avec sa politique, reconnaissons que c’est plutôt le cas, sauf sur cette question. Avant d’être élu, Emmanuel Macron avait un discours beaucoup plus bienveillant à l’égard des migrants.