ÉDITO
Juliana Huxtable est un choix qui peut surprendre. Issue d’une scène club a priori retorse à toute institutionnalisation, la poétesse, artiste et DJ sera pourtant omniprésente au cours de l’année 2017, du Moca de Détroit (“Sonic Rebellion, music as resistance”) nouvellement dirigé par Jens Hoffmann à la collection online du Guggenheim. Rien pourtant de si surprenant, quand on observe la part croissante prise ces dernières années par la performance et la thématique de la réinvention de soi. Dessiner les contours d’un personnage multifacette, s’émanciper de tout déterminisme via les terres fertiles de la fiction, tirer ses ressources incantatoires dans l’imaginaire font figure d’actes politiques. Déjà, Bruno Latour avait analysé finement comment un manifeste comme le Cyborg Manifesto de Donna Haraway (1984) anticipait et produisait un répertoire d’actions prodigues pour le futur. Les temps changent et avec eux les possibilités de discours et d’incarnations. Tom Burr, artiste reconnu pour ses explorations formelles aux confins du minimalisme et des théories queer, ne dit pas autre chose en parlant de réaffirmation de soi et d’appropriation comme mode de survie. Etudier, apprendre, imiter, transgresser devient un leitmotiv guerrier, une parade offensive capable de moduler le réel. Un réel mouvant, plastique aux délimitations qui n’engagent que ceux qui s’y heurtent. Ne dit-on pas que de l’URL (uniform ressource locator) à l’IRL (in real life) il n’y a qu’un pas. Cécile B. Evans, autre artiste invitée dans les pages de ce numéro, interroge la fabrique identitaire à l’ère des emojis. Reflétant la volonté incessante mais toujours vaine de vouloir communiquer l’indicible de nos émotions par des représentations, cette dernière soupèse les échanges affectifs mais conflictuels de l’Homme avec l’intelligence artificielle. Autant de commentaires de circonstances, d’amorces à l’ici et au là qui partagent et dépeignent un monde du présent immédiat.
Pierre-Alexandre Mateos & Charles Teyssou