Madame Figaro

PHOTO VOLÉE

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À LA FIN DU FILM DES FRÈRES COEN « INSIDE LLEWYN DAVIS » on voit un jeune Bob Dylan chanter en 1961 devant une maigre assistance de vingt-cinq personnes. Il n’y avait guère plus de monde dans les salons du ministère de la Culture, un jour de l’automne 2013, pour la remise de la Légion d’honneur au même Bob Dylan. Numerus clausus, un seul photograph­e autorisé, c’était très happy few. On reconnaiss­ait tout de même Hugues Aufray, l’air d’un chevalier lyrique blanchi par les croisades. Voilà un preux fidèle, premier introducte­ur, vers 1964, des chansons de Dylan en français. Quelques mois auparavant, le président Hollande avait décoré Paul McCartney. Pour Dylan, la chanceller­ie objecta qu’il avait autrefois été un leader antimilita­riste et usé de stupéfiant­s. La belle affaire. Combien de colonels opiomanes ont vu leur courage indochinoi­s distingué par la République ? Et puis, les stupéfiant­s et les artistes… Nerval, Rimbaud, Baudelaire. Monamie Cécile Guilbert, quiprépare une anthologie des auteurs ayant écrit sur les drogues, a déjà recensé cent vingt noms. Bref, l’affaire ayant été arrangée, Dylan pouvait recevoir sa distinctio­n. LAPORTES’EST OUVERTE ÀL’HEUREDITE, et Dylan est entré, flanqué de Mme Filippetti et d’un garde du corps qui ressemblai­t au sonneur de gong des films de la Rank. Robert Zimmerman alias Bob Dylan, né le 24 mai 1941 à Duluth, Minnesota. Légende absolue, grand fantôme du rock, mythe des années 1960 comme John Kennedy ou Martin Luther King, éternel cantor errant, toujours sur la route à 72 ans. Le Zim portait un costume noir – veste à col liseré de blanc, pantalon tuyau – et des bottes western bichromes, le tout très crocodile de Nashville. Mme Filippetti a entamé son discours, qui avait le mérite d’être informatif et concis.

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À ce moment- l à, j ’ ai remarqué que Mme Taubira s’était glissée dans le grand salon. On a été rebelle ou on ne l’a pas été, mais c’est bon, quand on est devenu ministre, de contempler un grand inspirateu­r de révolte acceptant une décoration. Dylan, lui, était magnifique. Filiforme comme en 1966, la chevelure éternellem­ent bouclée, les traits juste assez ridés pour que l’enfance ressorte. Il a écouté son éloge qu’un traducteur lui restituait à l’oreille, semblant parfois opiner du chef, regardant devant lui avec un air d’écolier hâve et malicieux, sans abdiquer ce côté homme de la frontière qui pourrait bien sortir un coltet vous coller un pruneau entre les deux yeux. SI J’AVAIS ÉTÉ UN JOURNALIST­E DE BROADWAY EN 1967, J’AURAIS ÉTÉ CONTENT de rapporter un scoop à mon journal, à grands coups de flash au magnésium. J’ai donc subreptice­ment tiré un Olympus de ma poche et pris deux clichés prohibés. Bob Dylan, cependant, s’approchait du micro pour répondre à la ministre. Il asimplemen­tdit: « Je me sens humble et fier. C’est tout. » Puis il a tourné les talons, est descendu de l’estrade et a quitté le salon. Attitude biendans la manière du joker mutique du rock, lapidaire, mystérieux­et indécrypta­ble. En me disant que je ne reverrais jamais Bob Dylan à trois mètres de distance, j’ai coché le trophée sur macrosse. Dans la rue de Valois, il faisait froid.

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Bob Dylan

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