Madame Figaro

CHIRLANE MCCRAY

REBELLE AND THE CITY AFRO-AMÉRICAINE, POÉTESSE, FÉMINISTE, HOMOSEXUEL­LE REVENDIQUÉ­E ET MÈRE DE DEUX ENFANTS… À 59 ANS, L’ÉPOUSE DU NOUVEAU MAIRE DÉMOCRATE DE NEW YORK, BILL DE BLASIO, SECOUE L’ESTABLISHM­ENT. ET INCARNE L’AMÉRIQUE MULTIRACIA­LE QUI A ÉLU BA

- PAR SIXTINE LÉON-DUFOUR, À NEW YORK

CCE SOIR- LÀ AU 78 BELOW, UN BAR DE L’UPPER WEST SIDE où se produisent des musiciens, Bill et Chirlane de Blasio organisent un dernier fundraisin­g. Venules soutenir, l’acteur Alec Baldwin entre, tout sourire, avant de déposer un baiser sur la joue de madame et de lancer, moqueur, au candidat : « Non, Bill, toi tu ne m’embrasses pas ! » Pourquoi un tel engagement ? « Ce que Chirlane et Bill incarnent, c’est l’image d’un New York moderne », explique l’acteur. Chirlane et Bill, deux voix pour le prix d’une. Tout au long de la campagne qui a conduit le candidat démocrate à une victoire écrasante ( 73,3 %), Chirlane McCray, de son nom de jeune fille, a été omniprésen­te, indissocia­ble des on géant de mari (il mesure près de 2 mètres) : tenant fermement la main de Bill lors de chaque apparition publique ; bras dessus, bras dessous a vecses enfants, Chiara et Dante ; dansant en famille la « smackdown dance », devenue leur marque de fabrique ; et auteur de tous les discours importants de son mari durant la campagne… Alors, au soir de son élection, personne n’a été surpris que les premiers mots du nouveau maire soient pour sa femme.

UNE VIE DE COMBATS

Afro-américaine (elle est d’origine caribéenne), féministe, lesbienne, militante pro- LGBT, néanmoins mariée et mère de deux enfants, cette poétesse de 59 ans rentre difficilem­ent dans une case. Et pourtant. Elle a é mergé durant la campagne commeétant « the ultimate insider », comme l ’ a surnommée l e « New York Times » : « le cerveauder­rière le plus grand bouleverse­ment politique de l’année » . Et le moins que l’on puissedire, c’est que les New-Yorkais se sont passionnés pour leur « First Lady » au parcours atypique, formant avec son mari un couple rappelant celui des Clinton. Issue d’un milieu modeste – son père était commis d’inventaire sur une base militaire et sa mère ouvrière sur unechaîne d’assemblage –, Chirlane McCray n’a de cesse de faire bouger les choses. En 1964, elle est âgée de 10 ans, sa famille déménage pour Long meadow, dans la banlieue de Springfiel­d (Massachuse­tts). C’est seulement l a deuxième f amille noire à s’installer dans le quartier. Les voisins font alors circuler une pétition pour les chasser. « Certains enfants me frottaient la peau pour voir si ça déteignait sur la leur, confiait-elle l’été dernier au “New Yorker”. Les gens évoquent toujours le racisme dans le Sud, mais les réactions peuvent être tout aussi édifiantes dans le Nord. » Ses années en high school ne sont guère plus chaleureus­es. Seule enfant noire de tout l’établissem­ent, elle doit encore

composer avec des remarques blessantes qui, dit-elle, l’ont conduite à écrire ses premiers textes, usant dela poésie pour évacuer sa colère. Elle entre au Wellesley College en 1972, et rejoint au même moment l’organisati­on féministe radicale et lesbienne Combahee River Collective, qui rassemble exclusivem­ent des activistes noires. La discrimina­tion sous toutes ses formes devient son combat. Ce qui l’amènera en 1979 à publier une tribune intitulée « I am a lesbian » dans l e magazine de l a communauté­noire « Essence ». Elle est alors la première femme noire à clamer son homosexual­ité. C’est en 1 991, al ors qu’elle est « speech writer » du maire démocrate de NewYork, David Dinkins (le dernier démocrate à avoir eu les clés de l a ville j usqu’à aujourd’hui), qu’elle rencontre son futur mari, luimême conseiller de l’édile. Ce ne sont ni son orientatio­n sexuelle ni leur différence de couleur de peau qui la freinent, confesse-t-elle, mais plutôt leur différence d’âge. « J’ai cru m’évanouir en réalisant que j’avais sixans de plusque lui! » L’anticonfor­misme, l’idéalisme et les conviction­s résolument ancrées à gauche, qu’ils ont en partage, feront le reste.

TOUJOURS BATTANTE

Marié depuis presque vingt ans, le couple, installé dans le quartier de Park Slope, à Brooklyn, dénonce l’embourgeoi­sement de la ville, le clivage grandissan­t entre les super riches et ces New-Yorkais dont un sur quatre doit choisir entre se soigner et se nourrir, ou encore la discrimina­tion latente qui conduit la police à abuser des contrôles au faciès. Un axe de campagne qui a f acilement trouvé écho au sein d’une population ayant drastiquem­ent changé ces vingt dernières années. Les Afro- Américains, qui se sont massivemen­t rangés derrière Chirlane McCray, représente­nt 25,5 % des habitants ; les Hispanique­s, 28,6 % ; l es Asiatiques, 12,7 %. Alors, voir une famille très « united colors » comme celle-là, à Gracie Mansion (la résidence du maire de New York), est une grande première. « Qui ressemble enfin à New York » , résume Hank Sheinkopf, consultant politique.

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