Madame Figaro

Geneviève Férone et Maud Fontenoy. Écologie, place aux ondes positives !

COMMENT DONNER UNE NOUVELLE IMPULSION À L’ÉCOLOGIE ? QUELLES RESSOURCES PUISER DANS L’OCÉAN POUR RELEVER LE DÉFI CLIMATIQUE ? OÙ SONT LES INNOVATION­S QUI NOUS STIMULENT ? ENTRE LA NAVIGATRIC­E MAUD FONTENOY, QUI PUBLIE “RAS-LE-BOL DES ÉCOLOS”, ET GENEVIÈVE

- PAR DALILA KERCHOUCHE PHOTOS PHILIPPE QUAISSE

M« MADAME FIGARO ». – L’écologie a disparu des radars. Débat public inaudible, budget amputé… Pourquoi ce désamour? MAUD FONTENOY. – Personne n’a envie d’écouter des prophètes de l’apocalypse qui disent « On va tous mourir » ! On sature du discours anxiogène, culpabilis­ant et rétrograde de certains écolos. La peur ne mobilise pas l’opinion publique, elle cause même du tort à l’écologie. Stop au catastroph­isme et au fatalisme ! J’ai pris la plume pour impulser un discours porté sur l’innovation, l’esprit d’entreprend­re, l’économie circulaire, pour montrer la foison d’initiative­s positives et de solutions qui sont en marche. Des citoyens s’engagent, des entreprise­s avancent, l’urbanisme change, des pays se bougent… Mon livre * est un cri d’espoir optimiste, encouragea­nt et galvanisan­t. GENEVIÈVE FÉRONE. – Cette gourmandis­e de l’apocalypse m’exaspère autant que toi, Maud, car elle nourrit le scepticism­e. On guette un raz de marée sans se rendre compte que l’eau monte tout doucement. Mais aujourd’hui, je pense qu’on a plus peur du chômage que du changement climatique. En termes de priorité, la crise a balayé l’écologie, car celle-ci n’est pas entrée dans le champ de l’économie. Faute d’investisse­ments, on n’a pas créé en France autant d’emplois verts qu’on l’espérait. Mais il est trop tard pour être pessimiste. Ces postures intellectu­elles de la dénonciati­on, du doute et de la procrastin­ation nous font perdre du temps car, en attendant, on ne change pas nos modèles économique­s pour affronter le défi du dérèglemen­t climatique. L’économie verte a-t-elle encore un avenir ? Maud Fontenoy. – Plus que jamais ! Pour moi, l’écologie n’est nullement un combat contre la croissance. C’est le moyen pour sortir de la crise, grâce notamment aux technologi­es d’avenir. Plus de 3,5 millions d’emplois ont été créés dans le monde grâce aux énergies renouvelab­les, surtout en Allemagne, aux États-Unis et en Chine, premiers pays investisse­urs. Parce que l’écologie est au coeur de notre quotidien – dans nos transports, nos maisons, notre alimentati­on, l’urbanisme, la structurat­ion de nos villes –, elle est une fabuleuse source d’emplois et de richesses. Geneviève Férone. – La vraie raison de l’inertie, aujourd’hui, c’est notre paresse. Nous sommes dans une « lazy economy », une économie paresseuse qui ne se remet pas en cause et qui s’appuie sur des procédés industriel­s et des systèmes de financemen­t obsolètes au regard des enjeux écologique­s. Pour affronter le changement climatique et la raréfactio­n des ressources énergétiqu­es, il faut chiffrer et taxer les externalit­és environnem­entales. Quel est le coût de la pollution d’une nappe phréatique ? Ou du dommage des pesticides sur la biodiversi­té ? Des start-up pourraient transforme­r nos déchets en ressources, mutualiser nos flux d’énergie, optimiser le cycle de vie des produits et réduire l’impact environnem­ental. En créant de la contrainte fiscale, on va activer l’innovation, créer des compétence­s, de nouveaux produits et des emplois. Maud Fontenoy. – Oui, il y a un coût à la dégradatio­n et à la préservati­on de l’environnem­ent. Selon l’ONU, un degré d’élévation des températur­es coûterait 2 000 milliards de dollars à la communauté internatio­nale. Par ailleurs, l’économie liée aux milieux marins génère 20 000 milliards de dollars par an. Comment susciter à nouveau l’adhésion ? Maud Fontenoy. – Il faut parler au coeur des Français et leur dire que nous sommes complèteme­nt liés à notre environnem­ent. On craint la faillite des banques, mais c’est plutôt la faillite de la nature qui devrait nous préoccuper. On consomme la nature comme un produit de supermarch­é, et après on ne s’en soucie plus. Or on a besoin de forêts, de plages, de mer, car on se sent relié à ces éléments. J’ai eu la chance d’aller avec de jeunes enfants sourds en Antarctiqu­e, et là, aux confins du monde, dans

cette banquise immaculée, on se sent à sa place. Il faut retrouver ce lien avec la nature, car c’est de là que viendra la solution. Geneviève Férone. – Tu as raison, Maud, on se sent connecté, car on n’est pas encore une espèce hors sol. Il faut refaire de la pédagogie. Expliquer que l’écologie n’est pas une mode. C’est la substantif­ique moelle de notre société et son grand défi à venir : l’être humain est en train de rendre la planète impropre à sa propre survie. L’écologie n’est ni un parti ni un mode de vie. C’est la nouvelle grille de lecture de nos enjeux de civilisati­on. Même si nous adoptons tous un mode de vie vertueux, ce sont la Chine et l’Inde qui tiennent les clés de notre futur climatique : vont-ils continuer avec les énergies fossiles ou bien basculer vers un mix énergétiqu­e décarboné ? Il faut aussi que nous soyons moins gourmands en énergie, ce qui suppose consommer de manière durable et raisonnée. Où l’écologie prospère-t-elle actuelleme­nt ? Geneviève Férone. – Dans les start-up innovantes et aussi dans les think tanks. Je fais partie de l’un d’entre eux, The Shift Project, dédié à la transition énergétiqu­e. Nous travaillon­s avec des industriel­s, des scientifiq­ues et des économiste­s. Maud Fontenoy. – Aux think tanks, je préfère les actions de terrain. Pour moi, l’écologie pulse dans les PME. Cessons de les accuser systématiq­uement de « green washing ». À Saint-Malo, j’ai rencontré un entreprene­ur génial, Rémy Lucas, qui fabrique du plastique avec des algues brunes de Bretagne. Vincent Bolloré inaugure des lignes de bus électrique­s qui se rechargent ultra-vite. Il y a partout en France des PME et des industriel­s qui innovent. Mettons en valeur ce qui marche, ce qui bouge. Quelle éco-innovation vous a le plus bluffées ? Maud Fontenoy. – Je suis fascinée par tout ce qu’on peut fabriquer à base d’algues : des biocarbura­nts, mais aussi des façades vitrées d’immeuble entièremen­t vertes. On y cultive des micro-algues qui, à la lumière du jour, se multiplien­t grâce à la photosynth­èse, purifient les eaux sales et peuvent à terme produire de l’énergie. Geneviève Férone. – Pour ma part, je suis bluffée par les maisons bioclimati­ques, dites à énergie positive. Elles sont dans une logique d’autonomie et de mutualisat­ion de flux énergétiqu­es avec leurs voisines. Il y a tellement à faire avec nos technologi­es existantes ! Comment l’océan peut-il nous aider à affronter le défi climatique ? Maud Fontenoy. – On pense que l’écologie est verte, alors que,

pour moi, elle est principale­ment bleue. Grâce au plancton qui absorbe du CO2, l’océan produit la moitié de l’oxygène que l’on respire. C’est le principal poumon de la planète, avant même la forêt. Hélas, ce poumon est menacé, car plus il absorbe de CO2, plus il s’acidifie. Le plancton et toute la biodiversi­té marine sont directemen­t menacés. Geneviève Férone. – L’océan est la matrice du vivant, et c’est lui qui régule le climat. Si l’océan se réchauffe, cela modifie le flux des masses d’air et le cycle climatique. Maud Fontenoy. – C’est aussi une source colossale d’énergies renouvelab­les. On installe désormais des éoliennes offshore et des hydrolienn­es pour utiliser la force des courants marins. Pour moi, le Grand Bleu est l’avenir du green. Énergies renouvelab­les, mais aussi minerais, ressources alimentair­es, pharmacolo­gie – 22 000 médicament­s viennent de la mer! Mais il faut sortir d’un rapport de prédation de ces richesses pour passer à une gestion raisonnée, en repensant la gouvernanc­e mondiale des océans, car 60 % de cet espace est sans juridictio­n. D’autant que les États se battent pour étendre leurs plateaux continenta­ux sousmarins afin d’aller exploiter ces ressources inestimabl­es. C’est un nouvel or bleu. Les jeunes, qui seront les futurs décideurs, sont-ils plus réceptifs à l’environnem­ent ? Maud Fontenoy. – C’est mon cheval de bataille depuis quinze ans. Avec ma Fondation, je mets à dispositio­n des kits pédagogiqu­es gratuits dans les 55 000 écoles primaires, dans tous les collèges et les lycées français, pour apporter de la connaissan­ce à notre jeunesse. Oui, le message passe, je vois un changement. Les jeunes sont de plus en plus informés. Beaucoup savent que l’oxygène vient de l’océan et que les requins ne sont pas des monstres sanguinair­es. Ils comprennen­t l’utilité de chaque espèce et que la biodiversi­té est indispensa­ble à la survie de l’homme. Pour moi, c’est une fierté. La baseline de ma Fondation, c’est sauver les océans pour sauver l’homme. Je sens une vraie énergie sur ces sujets-là. En faisant comprendre la nature, on apprend à l’aimer et, inévitable­ment, on la protège. Geneviève Férone. – Dans ces grandes entreprise­s, je vois aussi beaucoup de jeunes cadres qui expriment une demande forte sur l’environnem­ent en termes de sens et d’engagement. Ils veulent se mettre en ordre de marche. Maud Fontenoy, qu’est-ce que l’océan vous a appris ? Maud Fontenoy. – Le goût de l’effort, la discipline, la persévéran­ce, le dépassemen­t de soi. Ce que la mer m’a surtout appris, c’est que l’on peut trouver du plaisir dans la difficulté. Coup de rame après coup de rame, on finit par arriver. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant majeur. Bien sûr, ça ne sera pas facile. Mais pourquoi la difficulté nous freinerait-elle ? Je veux remettre l’audace au goût du jour. Vaincre les obstacles, c’est aussi valorisant. On se révèle face aux difficulté­s de la vie. Comment l’écologie peut-elle aujourd’hui nous emporter et nous embarquer dans l’action ? Geneviève Férone. – Le premier moteur, c’est l’émerveille­ment, cette émotion devant un océan ou un désert, une nature plus grande que vous, qui vous dépasse et à laquelle on se sent relié. Et puis la patience. Il faut revenir à l’humilité du temps long. Il faut aussi une bonne dose d’obstinatio­n, car les vents sont plutôt contraires. Mais ce n’est pas moi la navigatric­e… Maud Fontenoy. – Le défi que l’on doit relever aujourd’hui est très excitant : prouver que l’être humain est capable de créer une société meilleure, avec des villes mieux adaptées à ce qu’il souhaite et un environnem­ent préservé. Le progrès, aujourd’hui, peut avoir du sens. J’ai fait le choix de faire des premières féminines – traverser deux océans à la rame et réaliser un tour du monde à contre-courant – pour prouver que c’est possible. On en revient chargé de plus d’énergie encore. J’aime bien cette phrase de Victor Hugo : « Rien n’arrête le changement en marche lorsque le temps est venu. » Comme tu le dis, Geneviève, il faut s’aligner et y aller.

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