« L’élégance d’un révolutionnaire », par Dany Laferrière.
J JE NE PEUX PAS DIRE EXACTEMENT QUAND LE NOM DE MANDELA M’EST PARVENU. J’imagine bien avant d’autres jeunes de mon âge en Europe ou en Amérique, car en Haïti, durant les années de la dictature de Duvalier, nous étions si affamés d’héroïsme que le moindre acte qui conteste un pouvoir nous arrivait avec fracas. Et chaque fois nous rêvions d’en faire autant, mais Papa Doc veillait au grain en serrant un peu plus la vis. J’ai lu quelque part que le jeune Mandela fut arrêté le 5 août 1962. J’ai l’impression que sa renommée n’avait pas encore franchi les frontières de l’Afrique du Sud. Mon oncle Yves Nelson (il était si fier de porter une partie de son nom), qui veillait à mon éducation politique, s’était abonné au tout début des années 1960 à « Jeune Afrique », le magazine qui relatait les événements politiques et sportifs de l’Afrique. C’est peut-être là que j’ai lu le nom de Mandela pour la première fois. Et il n’est j amais sorti de ma mémoire. On en a fait un héros du fait de sa résistance à cette longue incarcération. Pour mon oncle Yves, aujourd’hui décédé, Mandela se distinguait par sa détermination à casser l’ordre établi. Il s’était procuré, je ne sais comment, une photo du jeune Mandela, dont l’élégance l’impressionnait. Il me disait qu’un révolutionnaire est d’abord un dandy qui veut le meilleur pour tous. Sur cette photo, Mandela n’avait pas encore vingt ans et IL AVAIT L’ALLURE DU JEUNE TOMBEUR AUX LÈVRES INSOLENTES DE L’ETHNIE XHOSA. Peut-être parce que l’Histoire avait changé de continent (la mort violente des Kennedy et de Martin Luther King, mai 1968, la conquête de la Lune), mais je l’ai perdu de vue durant un long moment. Puis brusquement Mandela est revenu sur la scène pour le combat final qui mobilisa cette fois la jeunesse du monde entier. J’étais dans un avion quand il fut enfin libéré, le 11 février 1990. MANDELA, ÀSASORTIE DEPRISON, ÉCLIPSAIT TOUSCESCHEFS D’ÉTAT qui semblaient si gauches à ses côtés. Me revint alors, avec la fulgurance de l’évidence, l’image de mon oncle Yves à propos de l’élégance du révolutionnaire.