VERTIGE DE L’AMOUR
EL’ÉLAN AMOUREUX EST-IL UN SIMPLE PROCESSUS CHIMIQUE AU SERVICE DE LA REPRODUCTION OU, AU CONTRAIRE, LA PREUVE DE NOTRE CAPACITÉ À TRANSCENDER LE DONNÉ BIOLOGIQUE ?
ETSI TOUTE LA POÉSIE A MOUREUSE était fondée sur une profonde ignorance de ce qu’est réellement l’amour ? À en croire certains chercheurs spécialisés dans la neurobiologie de l’état amoureux, ce sentiment n’a rien de magique ou d’inexplicable. L’euphorie, l’aveuglement, la cristallisation stendhalienne procéderaient en réalité d’une programmation neurologique implacable, destinée à nous mener sur le chemin de la reproduction. Les critères d’attraction selon lesquels nous jugeons une personne irrésistible ne résulteraient pas de ce que Jankélé-vitch nomme une « préférence infondée, injustifiée, injustifiable », mais d’un certain nombre d’indices signalant sa fertilité et la qualité de son génome. Tout serait donc affaire de phéromones, de messages chimiques entre les amants. Aussi ne serions-nous finalement pas très éloignés de nos amis les chiens, qui se reniflent avant de s’accoupler. Dans cette optique, la maternité biologique reste l’horizon indépassable de la femme, tandis que l’homme se voit reconduit dans son rôle animal de pourvoyeur de ressources. Mais la neurobiologie a-t-elle réellement percé au jourl’essence del’amour? S’il est évi-dent qu’elle en éclaire certains aspects, il est plus que douteux qu’elle en exprime la vérité ultime. Car elle néglige ce qui nous sépare radicalement de l’animalité : notre propension à désirer et à aimer en dehors de toute visée reproductive, même inconsciente. Bien d’autres composantes que les signes visibles de fertilité président au choix amoureux. Comment la biochimie explique-t-elle le coup de foudre après l’âge de la ménopause, voire dans les maisons de retraite? Et que di-telle de l’amour homosexuel, par définition non procréatif? Ouencore de l’amour déraisonnable, qui nous fait préférer le partenaire impossible au coparent idéal?
NNATURALISERL’AMOUR, C’ESTL’ENFER-MER dans le déterminisme reproductif, en oubliant que l’humain n’est pas un animal comme les autres. Laculture est le signe éclatant de la capacité humaine à transcender le donné biologique, voire à le répudier. Parce que nous sommes des animaux cultivés, nous considérons qu’une personne n’est pas seulement un corps, mais une chair – le corps vécu del’intérieur– et une âme– l’esprit vécu de l’intérieur. C’est pourquoi l’amour, en tant que communion spirituelle et charnelle entre deux êtres, quels que soient leur âge et leur sexe, demeure une énigme enchanteresse.