CHANEL IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST
LE DÉFILÉ DES MÉTIERS D’ART A EU LIEU CETTE ANNÉE À DALLAS, UNE VILLE INTIMEMENT LIÉE À LA LÉGENDE DE LA MAISON DE LA RUE CAMBON. UN WILD WEST SHOW ROMANTIQUE LOIN DES CLICHÉS SIGNÉ KARL LAGERFELD.
DALLAS, PATRIE DU DOLLAR ET DU PÉTROLE, MÉTROPOLE MYTHIQUE POUR CERTAINS, cité maudite pour d’autres. Il y a ceux qui avaient plus de 20 ans dans les années 1960 et qui se souviennent encore de ce 22 novembre 1963, quand « on a tiré sur le président ». Les images de l’assassinat de JFK dans la ville texane sont encore dans tous les esprits cinquante a ns pl us tard. Ilyace ux qui, dans les années 1980, ont suivi fascinés les aventures de J. R. Ewing à la télé dans l’univers impitoyable de « Dallas » (80 millions de téléspectateurs aux ÉtatsUnis, 350 millions dans le monde). Le retour de la série en 2012 et la commémoration, cette année, du cinquantième anniversaire de l’assassinat de JFK ont de nouveau braqué les projecteurs sur la ville des cow-boys et des rois du pétrole. Le 10 décembre dernier, la maison Chanel a aussi choisi la cité comme cadre de son défilé annuel des Métiers d’Art. Pur hasard. On aurait pu croire que le taille ur griffé que portait Jackie Kennedy l e 22 novembre 1963 (un modèle de la collection Chanel Haute Couture automne-hiver 1961 qu’elle avait fait réaliser en rose) était en partie lié à cette option géographique, mais, comme l ’ explique Bruno Pavlovsky, président des activités Mode de Chanel, il s’agit d’une tout autre histoire : « Karl Lagerfeld a
choisi Dallas parce que la ville est intimement liée au renouveau de Gabrielle Chanel. Elle a t oujours reconnu le rôle important qu’ont joué les États-Unis dans sa carrière. Notamment lorsqu’elle décide, en 1954, de mettre fin à sa retraite et de relancer sa maison de couture, à l’âge de 71 ans. Alors que sa collection est très froidement accueillie à Paris et vivement critiquée par la presse française, les États-Unis, au contraire, adhèrent immédiatement, et les rédactrices américaines s’enthousiasment pour le chic et le confort de ses tailleurs. » À L’ÉPOQUE, BETTINA BALLARD DU « VOGUE » AMÉRICAIN lui consacre trois pages, tandis que Carmel Snow, rédactrice en chef de « Harper’s Bazaar », demande à Jean Cocteau d’écrire un article sur son retour. Trois ans plus tard, en 1957, Coco Chanel reçoit à Dallas le Neiman Marcus Fashion Award, l’une des plus hautes distinctions de la mode américaine. Les grands magasins Neiman Marcus sont une institution outre-Atlantique. Fondés en 1907 au coeur du Texas, ils offrent le meilleur de la couture parisienne aux riches Américaines. Lors de la cérémonie de remise du prix à Mademoiselle Chanel, Stanley Marcus la présente comme une grande innovatrice qui a émancipé la silhouette féminine et il salue son retour réussi sur la scène de la mode en 1954. Coco, oiseau légendaire, Phénix de l’Amérique ? « Dallas est aussi le symbole du lien unissant Gabrielle Chanel à l’Art déco, poursuit Bruno Pavlovsky. Nous avons choisi de présenter la collection des Métiers d’Art au Fair Park, un lieu d’exposition classé National Historic Landmark, connu pour ses bâtiments àl’ architecture Art déco. Et le musée d’art de la ville possède une maquette de la villa La Pausa que s’était fait construire Mademoiselle à Roquebrune-Cap-Martin. » 10 décembre 2013, au Fair Park de Dallas. L’histoire de Chanel est encore en marche. Pour la collection des Métiers d’Art, véritable démonstration d’un savoirfaire d’exception qui met chaque année, depuis 2002, les artisans d’art à l’honneur (au nombre de dix, dont le parurier Desrues, le plumassier Lemarié, le modiste Maison Michel, l e bottier Massaro, l e brodeur Lesage…), la maison aux deux C a évidemment vu les choses en grand, décidée à faire rêver les personnali--
tés attendues sur le front row : Lauren Hutton, Geraldine Chaplin, Dakota Fanning, Anna Mouglalis, Lily Collins, la socialite texane Lynn Wyatt, Linda Gray (la Sue Ellen de « Dallas », cela ne s’invente pas) et Kristen Stewart, égérie de la nouvelle campagne de la collection des Métiers d’Art. Anna Wintour et André Leon Talley sont également de la partie. En guise d’appetizer, les invités sont conviés à prendre place dans les 74 voitures vintage (Buick, Cadillac, Must ang), dans un drive- i n de 5 000 mètres carrés reconstitué, afin de visionner en avant-première le film « The Return », de Karl Lagerfeld (lire l’encadré). Puis direction le lieu même du défilé : un somptueux manège en bois évoquant un rodéo où sont suspendus des myriades de drapeaux étoilés. SURLAPISTE DE CE WILD WEST SHOW, Stella Tennant, Georgia May Jagger, Angela Lindvall ou Jamie Bochert défilent dans des tenues de néo-cow-girls ou de squaws modernes. Rien de folklorique, plutôt une vision chic et poétique d’une certaine Amérique. Jupes droites ou évasées, robes de cocktail pailletées, boléros matelassés, chemisiers ornés de franges, bustiers à rayures en plumes, capes ou ponchos oversized, motifs de bottes de cow- boy sur collants ou cuissardes…, tout donne irrémédiablement envie. La soie, le satin, la dentelle ou le tweed s’ornent de franges de cuir, de plissés, de bouillonnés ou de motifs étoilés. Les filles arborent des plumes indiennes dans les cheveux, des canotiers cow-boy, des pochettes dollar ou des ceintures porte- pistolet. Le travail effectué par les artisans est impressionnant, comme celui qu’on peut voir sur cette veste portant des empiècements de cuir brodés de paillettes, de galons de cuir et de rubans tressés, de fleurs et de motifs de
Slaine et de cristal. « C’est une idée du Texas mais sans les clichés, précise Karl Lagerfeld. Ma vision est plus romantique, comme provenant d’images de films que je n’aurais jamais vus ou de westerns qui datent du muet et qui sont très poétiques. Et puis j’adore, en termes de style, le look américain d’avant la guerre de Sécession. Je voulais aussi passer de Millicent Rogers à Lynn Wyatt, mélanger la culture américaine raffinée du début du XIXe siècle et le XXIe siècle. » Caroline de Maigret clôt le défilé avec une sublime coiffe blanche de grand chef indien en plumes et paillettes (125 heures de travail !) qui descend jusqu’aux pieds comme une traîne de mariée. Les 94 passages sont aussi magiques qu’accessibles. C’est bien là tout le talent de Karl Lagerfeld : créer pour cette collection hors norme des pièces somptueuses dans lesquelles on arrive à se projeter. « Elles peuvent avoir une inspiration ethnique, mais elles doivent garder un côté universel et ne surtout pas sombrer dans le folklore, précise le maître de Chanel à la fin de son défilé. Sans cela, leur attrait sera limité. À Gstaad ou ailleurs, on peut porter ces vêtements et avoir l’air normal, ce ne sont pas des tenues pour un bal costumé. Cependant, chaque détail compte. Tout doit être minutieux, raffiné et réalisé avec talent. Nous avons la chance d’avoir chez Chanel des ateliers qui ont ce savoir- faire. Tout mon travail est épaulé par des gens formidables. » La rue Cambon donnera-t-elle du Texas une autre image que celle des ranchs, des dollars et des bisons ? Bienvenue à Dallas, nouvelle capitale de l’élégance.