Madame Figaro

UN GRAMME DE

- DOMINIQUE DE SAINT PERN, ÉCRIVAIN Dernier ouvrage paru : « Baronne Blixen », éditions Stock.

LLEPOÉSIE SUPERFLU, APRÈS LA TRAGÉDIE. L’accessoire, en période noire. Peut-on l’oser ? Si vite ? « Jamais je n’ai connu de chagrin assez grand que l’achat d’un chapeau neuf n’ait pu soulager », crânait l’écrivain-chasseress­e de fauves Karen Blixen. Si une femme s’y connaissai­t en chapeaux extravagan­ts et épreuves cataclysmi­ques, c’était cette Danoise exotique : les morts violentes autour d’elle, l’ignoble syphilis en elle… mais une femme comme les autres devant l’accessoire si secondaire, futile, léger. Laquelle d’entre nous n’a pas goûté à l’effet cicatrisan­t d’un soulier neuf, à la caresse consolante d’un foulard sur la peau ? Notons qu’une babiole à trois sous est aussi efficace qu’un article de luxe. L’important est le désir que la chose fait surgir en nous, quand nous le croyions enseveli sous la tristesse ou la déprime. L’ACCESSOIRE VOLANT AU SECOURS DE L’ESSENTIEL, l’élan vital ? Ce pourrait être un thème philosophi­que. C’est plus souvent un sujet de mode. Tant mieux. Car sans lui le chic n’existerait pas. Un accessoire, ça souligne ou complète, ça flanque du mordant à l’allure, ça lance une note singulière. Il est si juste parfois, si en adéquation avec une robe, un manteau, une silhouette, une personne, qu’il crève l’écran. Tout le reste s’efface. ET QUE SERAIT LE THÉÂTRE SANS LUI ? Une morne plaine. Pourtant, je me souviens d’une pièce mise en scène par Peter Brook, « Eleven and Twelve ». Une épure. Sur le plateau, rien, sinon deux acteurs en djellaba et un drap blanc dont ils j ouaient, l’air de rien, tout en palabrant. De la pénombre et de ce drap mouvant surgissaie­nt le voyageur, une pirogue et le fleuve… C’était d’une bouleversa­nte simplicité. L’accessoire, c’est cela, avant tout : un gramme de poésie. Une possibilit­é d’évasion.

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