Madame Figaro

PSYCHANALY­STE ET PHILOSOPHE “CHEZ CES ADOLESCENT­S COHABITENT UNE EXTRÊME SENSIBILIT­É ET UN ÉNORME ÉGOÏSME”

- A notamment publié « Puissance de la douceur » (éd. Payot) et « la Sauvagerie maternelle » (éd. Calmann-Lévy).

CCertaines femmes se plaignent d’un déficit de l’autorité masculine. C’est vrai. Les pères sont devenus les copains de leurs fils. Ils vont au concert, au cinéma, roulent à rollers avec eux. La punition est vécue comme une frustratio­n, comme un plein échec. Les hommes ne crient plus, ne grondent plus. Du coup, ils ont des réactions très primaires, presque puériles, quand il s’agit de contrer leurs fils. Ce qui me frappe, c’est que les pères ne se posent plus la question : « Qu’est-ce que l’éducation ? » Ils sont dans le très court terme. Or, qu’est-ce que je veux transmettr­e sur dix ans ? La voilà, la question centrale. Le monde adulte est au contraire dans l’instant, dans l’affect ! La relation parents-enfants se résume à un énorme « Je like ou je like pas ». C’est le règne de la confusion et de l’horizontal­ité qui fabrique du « mème ». Dans ce contexte, quels jeunes hommes fabrique-t-on pour demain ? Il y a des femmes qui pensent que le féminisme passe par l’éducation des jeunes garçons dans le respect de la femme, la courtoisie. En insistant sur toutes ces notions, elles sensibilis­ent leurs fils à la parole et ils se confient davantage qu’avant. Le nouveau petit homme va avoir accès à un trésor – la féminité – qui lui est dévoilé par la mère. Jadis, c’était sa soeur qui lui transmetta­it ces secrets. Ces mères éduquent mieux leurs garçons que par le passé, mais comme elles ne les frustrent jamais, hésitant à poser des limites, à formuler des interdits, elles vont paradoxale­ment en faire des futurs mecs très égocentriq­ues. Quelles sont les conséquenc­es chez les jeunes hommes de 20 ans ? Ils sont gentils, serviables, compréhens­ifs, savent repasser, cuisiner, mais je les trouve très narcissiqu­es. Leur credo, c’est : « Mon ordinateur, mon téléphone portable, mes jeux vidéo, mon confort d’abord. » C’est leur propre plaisir qui les constitue. Attitude assez épouvantab­le et plutôt inédite. Autrui ne va pas fondamenta­lement les entamer. Il est troublant de voir cohabiter chez ces adolescent­s une extrême sensibilit­é et un énorme égoïsme. Ils sont « inentamabl­es ». Les mères sont-elles bien armées vis-à-vis de leurs fils ? Il n’y a pas de baguette magique. C’est pourtant ce que les mères voudraient, car elles ne supportent pas d’être mises en position de femmes castratric­es. Quand elles crient, elles se sentent nulles, et c’est alors qu’elles culpabilis­ent leurs fils en disant : « Tu vois, tu me rends folle ! » C’est un message très négatif qu’elles envoient alors. Il vaut mieux poser calmement les interdits. Et proposer des alternativ­es. Chaque fois que les parents ont des activités fortes, les enfants en ont aussi. L’exemplarit­é est cruciale. Cirque, boxe, tai-chi, peinture, musique : cela prendra peut-être du temps, ce ne sera sans doute pas les mêmes discipline­s, mais vers 25 ans ils auront, eux aussi, des lignes fortes. Je crois malgré tout qu’ils vont nous étonner. Dans ce monde nihiliste et très mercantile dont ils ont hérité, beaucoup néanmoins s’opposent en prenant appui sur des formes de solidarité, d’associatio­n, de combat et d’invention. Ce sont, à mon avis, de nouvelles versions du courage, cette valeur majeure qui peut les relier à leurs semblables. Oui, il faut les écouter, car ils ont des choses positives et inédites à nous proposer… !

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