Madame Figaro

AU LE MENU RESSEMBLE À UN OBSCUR TRAITÉ DE PHILOSOPHI­E. À L’HÔTEL, ON A L’IMPRESSION DE DÉRANGER LE DÉCOR. DANS LES ON CHERCHE PARFOIS LE MODE D’EMPLOI… STOP ! ET SI LA FINISSAIT PAR TUER LE PLAISIR ?

RESTAURANT, GALERIES D’ART, SURENCHÈRE CONCEPTUEL­LE

- PAR VALÉRIE DE SAINT- PIERRE

J USQU’OÙ I RA S E NICHER LA CÉRÉBRALIT­É ? La cuisine restait encore, il y a peu, un refuge pour renouer avec l’essentiel – ses sens –, et goûter au réconfort bien connu de la « bonne bouffe » entre amis. C’est pourtant le domaine où, ces derniers temps, la tyrannie de la sophistica­tion semble la plus virulente. Ici, un chef japonais « active la braise ensoleillé­e du rare charbon Binchotan pour cautériser de velours sa basse côte de vrai boeuf de Kobe » (dixit le site du Fooding, à propos du restaurant Pages)… Là, un serveur râpe du Belper Knolle (un fromage vieux au lait cru, enrobé de poivre, de poussière d’ail et de sel d’Himalaya, n’en jetez plus) sur un risotto de soja à la purée de chouxfleur­s ? Nous sommes au restaurant Porte 12 – notez également la chiquissim­e sobriété cryptée du nom ! –, autre sensation 2015. Ce n’est pas que l’on tienne absolument à en rester à la blanquette de mamie. Mais ces repas qui tournent au rituel initiatiqu­e, avec serveurs recueillis comme des moines taoïstes, au fond, n’est-ce pas prodigieus­ement « boring » ?

marketing enflammé

La contagion est telle que l’on se prend à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : assez de prise de tête obligatoir­e ! Même les si populaires bougies d’ambiance, initialeme­nt peu suspectes, se haussent du col. « De la froideur des terres qui dégèlent montent les timides volutes d’agrumes verts, de mousse et de muscs cristallin­s. » S’agit-il d’un inédit de Mallarmé, récemment retrouvé par ses ayants droit dans un tiroir ? Pas du tout… Nous parlons là du modeste laïus explicatif de la bougie Anchorage, de la très chic maison Ast i e r de Vi l l a t t e , pardon ! S a consoeur Carmélite (Cire Trudon), elle, évoque en toute simplicité « la lumière des cierges et la psalmodie, la paix de l’âme et la nuit des temps »… Évidemment, face à ces raffinemen­ts inouïs, notre Feu de Bois du salon, pourtant très smart en son temps (« une alliance sophistiqu­ée d’essences boisées, chaleureus­e comme un feu de cheminée », Diptyque) fait un peu primaire ! Et que dire de la basique Lavande qui frôle la provocatio­n

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