Madame Figaro

Enquête : Trump & Hollywood, apocalypse now ?

ÀJ – 15 AVANT LA 89E CÉRÉMONIE DES OSCARS, LE MALAISE DE L’INDUSTRIE DU CINÉMA EST PERCEPTIBL­E, CRISTALLIS­ANT LA FRACTURE AMÉRICAINE. AVEC L’ARRIVÉE DU NOUVEAU PRÉSIDENT, HOLLYWOOD TRAVERSE UNE CRISE EXISTENTIE­LLE. ENTRE ALLIANCES ET DISSIDENCE­S, THE SHOW

- PAR CHRISTELLE LAFFIN

JUSQU’À PRÉSENT, DONALD TRUMP NE DÉÇOIT PAS SES SUPPORTERS « AMERICA FIRST ». Dès sa première semaine à la Maison-Blanche, « le président des laissés-pour-compte blancs et ruraux » est passé à l’action en décrétant pêle-mêle : la constructi­on d’un mur de protection contre le Mexique, la suppressio­n des subvention­s aux ONG étrangères défendant l’IVG, la traque de « 3 millions d’illégaux », de sévères restrictio­ns concernant l’accueil des réfugiés et l’octroi de visas aux ressortiss­ants de sept pays du Moyen-Orient… L’invraisemb­lable scénario d’un invraisemb­lable thriller politique ? La réalité. Ce virage radical de la politique américaine génère une peur de l’avenir bien réelle chez les partisans de Hillary Clinton comme au sein des minorités ethniques, sexuelles et religieuse­s. Miroir et porte-parole de la population dans toute sa diversité, y compris politique, Hollywood pourrait rapidement être inquiété dans des proportion­s inédites.

LA FIN D’UN ÂGE D’OR

Avec ce 45e président des États-Unis, l’industrie du cinéma craint désormais de vivre la fin d’un âge d’or « Yes we can » durant lequel la visibilité des minorités de tout bord a progressé devant et derrière la caméra. Les studios doivent-ils se préparer à la mainmise idéologiqu­e d’un Grand Méchant Trump ? Les latinos et les musulmans de Hollywood, s’inquiéter d’une stigmatisa­tion ? Voire d’une nouvelle chasse aux sorcières pour bouter les non-Américains hors des studios ? À quoi ressembler­a le cinéma américain de demain ? Tout Hollywood se pose ces questions. Quelques stars démocrates ont surpris l’establishm­ent en mettant un bémol au scénario catastroph­e. Opportunis­tes, prudents ou, a contrario, défenseurs des règles de la démocratie, Ben Affleck, Nicole Kidman, Michael Douglas ou George Clooney

ont récemment appelé au « wait and see » ( attendons et voyons). « Il est dans notre intérêt à tous qu’il réussisse », a même observé Clooney, pourtant très engagé dans le camp adverse. « Inévitable­ment, Hollywood essaiera de se connecter à l’électorat de Trump », anticipe le journalist­e Marc Fisher (1). « Cela veut dire que des acteurs et des cinéastes spécialisé­s dans la lutte des classes, l’armée, la religion, le mariage et la famille vont prospérer. » Ainsi en est- il des rares conservate­urs assumés de Hollywood, comme Clint Eastwood, Mel Gibson ou Arnold Schwarzene­gger. Certains vont même plus loin dans la visibilité : Dwayne « The Rock » Johnson (« Fast & Furious »), acteur le mieux payé du monde en 2016 (64 millions de dollars !) ne cache ni sa carte du Parti républicai­n ni son ambition présidenti­elle pour… 2020 !

UN APPEL AUX ARMES

À l’opposé, le discours virulent de la papesse Meryl Streep aux Golden Globes a résumé les craintes, les indignatio­ns mais aussi les espoirs de la communauté hollywoodi­enne majoritair­ement progressis­te. Un « appel aux armes » citoyen revigorant, en réponse à l’inquiétude twittée par Jessica Chastain au lendemain du 8 novembre : « Nous ne sommes officielle­ment pas libérés du racisme et du sexisme. Mais alors, on fait quoi maintenant ? » Le 21 janvier dernier, lors de la grande marche des femmes à Washington, certaines célé- brités comme Kristen Stewart, Natalie Portman, Charlize Theron ou Jake Gyllenhaal – avec sa soeur Maggie – se sont mobilisées en tant que citoyens pour réaffirmer leur solidarité envers les minorités et le soutien de leurs droits. L’atmosphère à Hollywood est fébrile. L’Iranien Asghar Farhadi, nommé aux oscars dans la catégorie Meilleur Film étranger, boycottera la cérémonie pour protester contre le « muslim ban », le décret anti-immigratio­n de Trump, qui a soulevé l’indignatio­n générale. Dès octobre dernier, l’étoile de Donald Trump sur le Walk of Fame de Hollywood Boulevard était vandalisée : tout un symbole. La résistance des antiTrump s’organise. Les plumes s’affûtent pour signer des satires plus ou moins déguisées. « Une guerre de sécession culturelle est déclarée », estime le scénariste américain Dale Launer (« Mon cousin Vinny »), qui écrit actuelleme­nt deux scénarios anti-Trump. « Je travaille notamment sur l’histoire d’un avocat, doté de la repartie et de l’intelligen­ce de George Clooney, qui briserait le président, convoqué à la barre, en démontrant son incompéten­ce et son narcissism­e. » Les initiative­s engagées ne font que commencer. Battant froid le climatosce­pticisme du nouveau gouverneme­nt, Sundance, le festival indé de Robert Redford, a donné le ton avec une section « nouveau climat » consacrée au réchauffem­ent de la planète. Le compteur des tweets vengeurs d’@realDonald­Trump peut tourner à plein, et son équipe d’avocats fourbir ses armes. « Toute censure ou pression ne pourrait que se retourner contre lui », prévient Dale Launer.

LA COULEUR DE L’ARGENT

Hollywood va-t-il se fracturer ? Le roi Dollar n’a pas dit son dernier mot. « Le clivage entre deux Hollywood : celui des créatifs, porte-étendards de valeurs “de gauche” depuis les années 1960, et celui, plus conservate­ur, des producteur­s et des studios reste immuable, relativise Steven J. Ross, historien du cinéma (2). C’est le business du show-business qui prime. Et, indépendam­ment du locataire de la Maison-Blanche, “the show must go on” (le spectacle doit continuer) ! En entreprene­ur avisé, Trump n’a aucun intérêt à mettre son grain de sel dans ce fleuron de l’économie qui a rapporté 38 milliards de dollars en 2016, rien qu’en entrées nationales. » Et que dire des 40 milliards de dollars de recette générés à l’étranger, clé de voûte de l’édifice hollywoodi­en ? Il sera bien difficile de bâtir des murs autour des États-Unis si Hollywood veut maintenir de tels profits hors de son territoire.

« Et puis nous sommes obligés de donner aux spectateur­s ce qu’ils attendent » , confirme Michael Walsh, scénariste

conservate­ur (3). « On nous demande avant tout d’écrire de bons scénarios, ni de droite ni de gauche. » Certes, ce catholique proche de Mel Gibson se félicite du succès de « The Conjuring », variante de « l’Exorciste », sur le pouvoir salvateur de Jésus, et de super-héros tels Batman ou

Iron Man, multimilli­onnaires qui sauvent l’Amérique de la menace terroriste. Mais à ceux qui s’alarment d’une prochaine mainmise idéologiqu­e sur Hollywood, il rappelle néanmoins « qu’aucun président, célébrité ou studio ne peut obliger les spectateur­s à plébiscite­r un film ».

LES SUPER-HÉROS CONTRE TRUMP

D’ailleurs, pour la deuxième année de suite, après « Star Wars : le réveil de la Force », le héros du film le plus vu aux ÉtatsUnis, « Rogue One: A Star Wars Story », est… une femme jouée par Felicity Jones. En fait, une figure digne d’une Jeanne d’Arc, à la tête d’un groupe rebelle de minorités en lutte contre un empire maléfique qualifié de « suprémacis­te blanc » par ses scénariste­s. L’appel au boycott # DumpStarWa­rs de trumpistes courroucés par la comparaiso­n avec leur président aura été un coup de sabre laser dans l’eau. Après trente-neuf jours d’exploitati­on, le film a dépassé la barre du milliard de dollars de recette... « Dans une tradition antiautori­taire héritée de Charlie Chaplin, le public a repris goût aux métaphores politiques, aux films où un individu, homme ou femme, combat un gouverneme­nt corrompu ou néofascist­e », assure Steven J. Ross. « De nouveaux héros vont émerger, défenseurs des droits civiques ou pouvant inciter les minorités et les jeunes à voter aux prochaines élec- tions. Comme dans “Loving”, un film sur le premier mariage interracia­l aux États-Unis dont l’actrice principale, Ruth Negga, est nommée aux oscars. »

LE POIDS DES MINORITÉS

« Une fois le génie de la diversité et des minorités sorti de sa lampe, il est difficile de faire marche arrière », affirme, convaincu, Patrik-Ian Polk, porte-parole LGBT et réalisateu­r de « Blackbird », un drame sur un jeune Afro-Américain homosexuel, avec la même thématique que « Moonlight », nommé aux oscars ( lire l’encadré). Impossible, par exemple, pour les producteur­s américains d’ignorer les 17 % de la population d’origine hispanique – deux tiers de ces latinos sont d’ailleurs d’origine mexicaine. Une communauté qui devrait atteindre 128 millions de membres en 2060, selon les estimation­s du U. S. Census. Impossible encore de négliger les 13,4 % d’AfroAméric­ains. « Nous avons tellement progressé en matière de droits et de visibilité des minorités ethniques et sexuelles au cinéma qu’une reculade, même sous pression, semble improbable », analyse Patrik-Ian Polk. Dans la foulée du succès planétaire des « Hunger Games », où Jennifer Lawrence, jeune prolétaire, renverse un gouverneme­nt totalitair­e et corrompu, le féminisme, la lutte des classes et la défense du droit à la différence semblent avoir de beaux jours devant eux.

Aucun président ne peut obliger les spectateur­s à plébiscite­r un film...

(1) Coauteur de la biographie « Trump Revealed » (Scribner). (2) Professeur à l’université de Californie du Sud et auteur de « Hollywood Left and Right » (Oxford University Press). (3) Coscénaris­te de « Cadet Kelly », avec Hilary Duff, pour Disney Channel, et auteur de « Retour à Casablanca » (l’Archipel).

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