Madame Figaro

Cuisine : le caviar, tout un art.

PAS FORCÉMENT LUXE ULTIME, L’OR GRIS PEUT S’INVITER SIMPLEMENT À TABLE. LA MAISON KAVIARI, QUI VIENT D’OUVRIR SA MANUFACTUR­E À PARIS, LE PROUVE. PARCOURS DÉCOUVERTE DE CE LIEU UNIQUE DÉDIÉ AU CAVIAR, ET RECETTES POUR S’INITER À SES DÉLICES.

- PAR MARIE-CATHERINE DE LA ROCHE / PHOTOS BERNHARD WINKELMANN / RÉALISATIO­N LAURENCE DU TILLY

Rendez-vous au 13, rue de l’Arsenal. Le génie de la Bastille déploie ses ailes d’or dans le ciel. Les bateaux oscillent doucement dans le bassin en contrebas. On tourne rue de la Cerisaie, comme si Tchekhov nous prenait par l a main. Nous voilà devant cette manufactur­e cachée, promesse d’un monde où le caviar nous dévoilera son oeuvre au noir.

Dès l a porte poussée, un écriteau révèle l’esprit du lieu : « Ce que nous voudrions partager avec vous, c’est ce perpétuel étonnement qui naît de la rencontre entre l’exigence de l’atelier et la sensualité du caviar. » Ces mots sont ceux de Karin Nebot, directrice générale de Kaviari. Tout en retenue, son lumineux sourire dit le plaisir qu’elle a à nous entraîner sur son terrain de jeu et d’émotion : le caviar, cette denrée fabuleuse, cent pour cent artisanale, riche d’un savoir- faire transmis patiemment de masters à élèves. À l’aide de Valérie Solvit, tête pensante de la direction artistique de l a Manufactur­e, elle a réalisé son rêve : sortir ce produit de luxe du carcan des convention­s, l e donner à découvrir et à aimer autrement. Dans l’intimité de cet atelier qui, quarante ans durant, a vu maturer les osciètres, bélugas et autres petits et gros grains à la folie douce, on n’est plus à Paris. On est hors du temps, dans une sorte de pays d’Oz où le merveilleu­x s’invite à la bonne franquette.

« C’est ici que tout a commencé, là où mon père, Jacques Nebot, tombé fou amoureux du caviar, devenu l’un de ses plus grands spécialist­es, a commencé l’aventure » , raconte Karin. Aujourd’hui, la maison Kaviari, qu’il a créée avec Raphaël Bouchez et qu’elle dirige, affine ses précieux oeufs à quelques kilomètres de là. Succès oblige, après avoir été la chasse gardée des chefs étoilés, ils ont égrené leur notoriété dans le monde entier. Et grâce à Karin, à ses en-K et à sa Caviar

Box, leur luxe s’est démocratis­é. Mais pas question de larguer les amarres de l’Arsenal. D’initiale, la manufactur­e est devenue initiatiqu­e : « Pour comprendre le caviar, il faut prendre le temps de le découvrir, de s’y abandonner », dit-elle avec ferveur. On la suit dans le couloir, coursive d’un bateau de pêche. Elle nous fait embarquer dans la fabuleuse histoire de l’esturgeon, du fleuve Amour à l’estuaire de la Gironde, de la Bulgarie à l’Italie, de sa vie sauvage à son fermage. À bâbord, elle pousse une porte qui s’ouvre sur un improbable cinéma Paradiso. Films projetés sur un drap blanc : on remonte en noir et blanc les rives de la Caspienne dans le sillage des esturgeons qui firent l’épopée du caviar d’Iran. Plus loin, c’est emmitouflé d’une doudoune que l’on pénètre dans la chambre froide qui révèle ses boîtes « origine » ( de 500 grammes, 1 kilo ou 1,8 kilo), issues de la longue quête du Graal des pêcheurs de perles noires. C’est là que la dégustatio­n commence, sous la houlette de

l’un des masters en caviar de la maison. Arômes beurrés, iodés ou noisettés, de cette immersion on ressort les papilles émoustillé­es. Frissons annonciate­urs d’un en-cas qui, dans la cuisine salle à manger, nous attend entre assiettes chinées, bouquets et sets de lin brut. Rendez-vous amoureux, lieu secret pour dégustatio­n entre amis ou dînettes de chefs qui s’offrent le luxe d’un charme sans fards : la manufactur­e Kaviari, c’est ça. Ici on vient pour découvrir la perle noire dans son plus simple appareil. Avec un thé, une brioche, des pâtes, un gaspacho de concombre, une tartine grillée… Un oolong ou un saké, du champagne ou un rhum. Et, on se prend à rêver de petit matin slave, de déjeuner de datc ha, de poèmes persans, du lac Amour. On rit, on voudrait tout savoir. Et de ce moment suspendu entre rêve et réalité, on repart, avec un ouvreboîte et une petite cuillère, comme un talisman. C’est sûr, le caviar n’aura plus jamais le même goût.

 ??  ?? Le soleil filtre par la porte d’une petite cour verdoyante. La table de ferme, dressée champêtre, est éclairée par d’industrieu­ses lampes vintage.
Le soleil filtre par la porte d’une petite cour verdoyante. La table de ferme, dressée champêtre, est éclairée par d’industrieu­ses lampes vintage.
 ??  ?? Karin Nebot, à la tête de la maison Kaviari, s’est fixé une mission : faire du fascinant et intimidant caviar un luxe de simplicité.
Karin Nebot, à la tête de la maison Kaviari, s’est fixé une mission : faire du fascinant et intimidant caviar un luxe de simplicité.
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 ??  ?? Loin de ses égrenages ostentatoi­res et de ses afféteries bling-bling, le caviar se déguste à la cuisine. Sans barguigner ni se faire prier, ses grains roulent sous la langue, généreux, joyeux.
Loin de ses égrenages ostentatoi­res et de ses afféteries bling-bling, le caviar se déguste à la cuisine. Sans barguigner ni se faire prier, ses grains roulent sous la langue, généreux, joyeux.

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