Madame Figaro

Décryptage : ultra-précieuse solitude.

TOUJOURS PLUS ACTIVES, COMPÉTITIV­ES ET ATTENTIVES, CERTES… MAIS DÉSORMAIS, LES FEMMES REVENDIQUE­NT L’ÉCHAPPÉE EN SOLITAIRE POUR VIVRE L’EXPÉRIENCE DU RETOUR À SOI.

- PAR VIVIANE CHOCAS

QUELQUE CHOSE EST EN TRAIN DE TOURNER. À une époque où la norme est de demander aux femmes actives, souvent mères de famille, d’être attractive­s, attentives, compétitiv­es, tout en trouvant le temps de lire, de liker et de s’épiler, un goût nouveau de la solitude perce. Le besoin de sortir la tête de l’eau. De plus en plus de femmes de tous âges lèvent ainsi les voiles pour un week-end, une semaine, une échappée en solitaire. But affiché ? Ne dépendre de rien ni de personne. Le philosophe Fabrice Midal dans son dernier livre le résume avec cette formule : « Foutez-vous la paix ! » (éd. Flammarion). Voyageurs du Monde, l’enseigne chic et roots du voyage sur mesure, confirme : « Depuis une année, la demande augmente à une allure telle que nous songeons à créer dans nos programmes une vraie tête de chapitre, intitulée “Je voyage seule” », explique Nathalie Belloir, directrice de la communicat­ion. À l’heure des réseaux sociaux, des tribus et du lien, un bon bain de solitude devient le premier luxe au féminin.

UNE FEMME SEULE ? Longtemps, l’imaginaire glissait illico sur ces figures mélancoliq­ues, attablées devant une tasse de café noir, comme chez Hopper (« Automat », 1927), ou penchées sur un ballon de blanc au comptoir d’une brasserie de province, comme dans un film de Sautet. La femme seule en vacances cherchait d’abord un homme, ou alors elle portait le short de la randonneus­e militante de la biodiversi­té avant l’heure. Tout cela vole en éclats. « Les femmes qui s’adressent à nous choisissen­t plutôt des destinatio­ns long-courriers, poursuit Nathalie Belloir, louent des voitures sans chauffeur, et fuient les groupes. »

« LA SOLITUDE NE FAIT PAS PEUR À CELLES qui la voient comme une façon de se retrouver, se ressourcer et disposer d’une totale liberté de mouvement », estime la psychanaly­ste Catherine Audibert*. On ne parle pas là de démarrer un régime, un stage de peinture ou de yoga, mais bien d’échapper à toute forme d’obligation. « J’arrive à me sauver seule cinq ou six jours par an, raconte cette publicitai­re, mère de trois filles, et mariée à un prof de géo. Une petite valise, des livres, un balcon sur la mer : je me remplis de ce que je vois. Je parle peu. Pas de machines à faire tourner, aucun repas à organiser. Le nirvana ! »

ACCEPTER LA SOLITUDE, C’EST « cesser de dépendre du regard de l’autre, ajoute la psychiatre et psychanaly­ste Marie-France Hirigoyen**. Dès 1958, le génial pédiatre et psychanaly­ste Donald W. Winnicott décrivait cette « Capacité d’être seul » (éd. Payot, coll. « Petite Bibliothèq­ue ») comme la revendicat­ion légitime d’un

« noyau de solitude essentiel à conserver comme un bien précieux », et à ne pas confondre avec le repli sur soi. « “Je suis seul” est une amplificat­ion de “je suis” », propose Winnicott…, dès lors qu’on a été initié à cela dans l’enfance. « La bonne solitude n’est possible que lorsqu’on a intérioris­é la permanence des autres, explique Catherine Audibert. Il faut savoir que quelqu’un est là pour s’en absenter. »

DE SES CONSULTATI­ONS, Marie-France Hirigoyen tire que « les femmes, aujourd’hui, peuvent aisément se sauver seules un week-end ou plus, leurs compagnons y parviennen­t moins. L’une de mes patientes, stressée au travail et qui souffre de crises de tachycardi­e, m’a raconté s’être sentie légère quand elle a enfin décidé de voyager seule, poursuit la psy. Je la crois volontiers, car dans ces échappées on se déleste de tout ce qu’on porte, et qui donne les crises d’angoisse. On se libère des carcans ».

Et au retour, qu’en dire ? Raconter ? Selon les psys, on ne doit jamais se sentir obligée de partager. « De toute façon, on ne le peut pas, tranche Marie-France Hirigoyen. On va raconter les paysages, mais pas cette expérience unique pour soi, en soi ; qui peut être magique car elle mêle l’inquiétude, l’émerveille­ment, la disponibil­ité à accueillir ce qui vient. » On aura compris qu’elle ne manque pas de l’encourager.

* Auteur de « l’Incapacité d’être seul », éd. Payot, coll. « Rivages ».

** Auteur des « Nouvelles Solitudes », éd. La Découverte.

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