Madame Figaro

CHRISTINE NAGEL

PARFUMEUSE– CRÉATRICE HERMÈS

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Sentir, ça s’apprend, ça s’entraîne

Enthousias­te et charismati­que, ce nez ultrasensi­ble a pris en 2016 la suite de Jean-Claude Ellena chez Hermès. Pourtant, ce n’était pas gagné. Il y a trente ans, cette scientifiq­ue italo-suisse qui ne venait pas du sérail a même été refusée à l’École supérieure du parfum. Son talent et sa personnali­té l’ont vengée. Dans son nouvel atelier de Pantin, elle nous a raconté son bonheur de créer.

Vos dernières créations ?

Eau de Rhubarbe Écarlate, Galop d’Hermès et Eau des Merveilles Bleue.

Faut-il un don au départ ?

Le talent ne suffit pas. Sentir, ça s’apprend, ça s’entraîne. De tous les sens, l’odorat est le moins éduqué. Quel dommage ! Il faut aussi de la technique pour libérer la créativité.

Être parfumeur maison, ça change quoi ?

Le temps, la liberté, la confiance… Que demander de plus ? Hermès est l’une des rares maisons à ne pas faire de test. En m’embauchant, Axel Dumas, qui dirige la maison, m’a dit : « Soyez audacieuse et vous avez le droit de vous tromper. » Une chance incroyable. Et une immense responsabi­lité.

Les créateurs qui vous ont inspirée, vos modèles ?

Avec ma formation de chimiste, j’occupais un poste technique chez Firmenich et, chaque jour, j’observais un homme qui venait faire sentir des touches aux gens de la réception. C’était Alberto Morillas (Acqua di Gio d’Armani, CK One de Calvin Klein, Flower by Kenzo…). C’est lui qui, le premier, m’a donné envie de le faire. Ensuite, Michel Almairac (Fahrenheit de Dior, See by Chloé…) a joué aussi un rôle très important. Et puis quel honneur de succéder à Jean-Claude Ellena ! Nous avons travaillé deux ans ensemble pour préparer le passage de relais.

Votre première émotion olfactive ?

L’odeur d’un talc italien pour bébé, Borotalco. Sinon, Cabochard de Grès, Fidji de Guy Laroche, Bois des îles de Chanel, Féminité du Bois de Shiseido… Les qualités essentiell­es pour devenir parfumeur ?

De l’audace, un sixième sens et beaucoup, beaucoup de travail. J’apprends tous les jours.

Comment définir votre style ?

Je parlerais d’une parfumerie physique, sensoriell­e, tactile. Pour moi, les odeurs ont des textures, du volume, du relief, quelque chose de vivant.

Votre matière première préférée ?

Je les aime toutes. Tout dépend du moment, de mon état d’esprit. Chacune est le début d’une histoire.

Celle qui vous inspire le moins ?

Aucune. J’aime détourner les matières premières, les emporter ailleurs, leur faire dire autre chose, rendre les fleurs méchantes, les bois liquides, ne jamais m’enfermer. Prenez les muscs modernes, dits blancs, souvent décriés parce qu’utilisés dans la lessive. Pour moi, ils sont comme des jupons de formules. Ils leur donnent du gonflant, de la tenue, se fondent à la peau. Mais je ne cherche pas à créer des ovnis olfactifs. Ça doit sentir bon avant tout. Comment travaillez-vous ? Des rituels ? Des sources d’inspiratio­n ?

Le point de départ est toujours une rencontre avec une matière, un métier, une personne, une couleur, un objet… Après, je tire le fil. Ça prend trois mois, trois ans ou… le fil casse. J’aime travailler plusieurs projets très différents en même temps, comme un peintre, plusieurs tableaux. C’est quoi un bon parfum ?

Un parfum que l’on porte ! Avec lequel on se sent bien et on se sent soi. Le succès, c’est une autre histoire. Il dépend de tant de paramètres, du moment, du flacon, de l’image et… de la chance. Mais quand quelqu’un porte un de mes jus, quel bonheur ! On met toujours une part de son coeur dans ses flacons.

Comment voyez-vous l’univers du parfum actuel ?

La parfumerie de niche a ouvert la porte à plus de créativité, de qualité. Il y a une vraie demande. Le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux jouent aussi un rôle important.

Cela dit, j’ai pleuré plus d’une fois en lisant des jugements destructeu­rs.

Un secret à nous révéler ?

Un grand féminin à sortir à la fin du mois d’août, qui va exprimer une facette encore inexplorée : la fantaisie. D’Hermès, on connaît le sens de l’exigence, le souci du détail, le côté statutaire attaché à la tradition, mais la marque a aussi une réelle audace.

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