Madame Figaro

Interview : Valérie Lemercier se raconte.

50 ANS ? LE BEL ÂGE ! C’EST CE QUE RACONTE SON NOUVEAU FILM, “MARIE-FRANCINE”*, JOLIE FABLE DÉJANTÉE QUI REMET LES PENDULES À L’HEURE. AU PASSAGE, L’ACTRICERÉA­LISATRICE SE PAIE LE CHARME DÉSUET DE LA BOURGEOISI­E. AUTOBIOGRA­PHIQUE ? POUR EN AVOIR LE COEUR

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COLLANTS NOIRS OPAQUES GAINANT UNE PAIRE DE GUIBOLLES DE DANSEUSE, MICRO-JUPE, chaussures à talons aiguilles très femme, mais sage chemisier aux impression­s cachemire boutonné jusqu’au col. Valérie Lemercier arbore toujours ce même classicism­e délicieuse­ment décalé : BCBG en haut, olé olé en bas, aux aguets avec sa tête penchée en avant façon Lady Di, mais cinglante dans ses écrits, regard plissé de myope avec des yeux de lynx à l’affût de situations loufoques. « Oui, je suis une voyeuse. C’est mon vice, mais c’est aussi mon métier. »

Dans son dernier film, « MarieFranc­ine », la réalisatri­ce Valérie Lemercier, d’ordinaire si pudique, s’autocarica­ture en quinqua délaissée, martyrisée, opprimée par notre société qui met cruellemen­t au rancart cette tranche d’âge jugée fanée pour le travail comme pour le sexe. Elle y fustige ces oukases, y détricote ce prêt-à-penser aussi stupide que tenace, et célèbre l’amour simple comme valeur refuge dans un monde déroutant, « qui périme tout trop vite et envoie aux orties les femmes dès leurs premières rides ». Show après show, film après film, Valérie Lemercier souligne les archaïsmes de notre monde et dynamite la bien-pensance. Son miel, c’est l’observatio­n. Son carburant, l’écriture. Son bonheur est de rester cloîtrée chez elle en chaussons et en pyjama pendant des semaines pour écrire des histoires qui rendent compte de l’intimité des gens. « Ces parenthèse­s sont pour moi des voyages extraordin­aires. » Auto-entretien.

VALÉRIE LEMERCIER. – Valérie, qu’as-tu ingurgité ce matin ?

VALÉRIE LEMERCIER – Du thé thaïlandai­s très fort et deux kiwis. À trois heures de l’après-midi, je vais passer au jus de pamplemous­se. Mais… mais… mais pour être exacte, je dois avouer que vers six heures du matin, je me suis réveillée une première fois, j’ai alors mangé des biscottes et bu du thé au sarrasin.

Valérie, pourquoi aimes-tu le sarrasin ?

Parce que le sarrasin me fait du bien. Le sarrasin est une graminée très riche et très revigorant­e, qui pousse sur les sols les plus pauvres de la planète, de la Bretagne à la Russie en passant par la Pologne, où on l’appelle la kacha. On le consomme en thé ou en galettes.

Valérie, tu vas quand même prendre le temps d’avaler quelque chose d’un peu plus roboratif ?

En rentrant, je vais peut-être me faire des oeufs au plat cuits très doucement, que je mangerai avec des biscuits à l’épeautre. Ou bien une soupe de soba (pâtes japonaises sans gluten). J’aime manger chaud. Je ne suis ni végétalien­ne ni carnivore, mais je n’aime pas toutes ces salades composées que l’on vous sert à tout bout de champ.

Valérie, est-ce que c’est fatigant de vivre avec toi ?

Non. À condition de s’habituer à mes rythmes. Mes nuits sont morcelées. Je dors trois, quatre heures par nuit en plusieurs étapes. Les monstruosi­tés que j’écris me réveillent parfois. La nuit dernière, je riais dans mon sommeil. Je pensais à la scène que je venais d’écrire, où la mère de Marie-Francine se retrouve coincée dans la cabine à bronzer qu’elle vient d’acheter. Je l’imaginais en train de griller comme une tartine. Mon ami s’habitue très bien à ces cadences morcelées.

Valérie, pourquoi ne prends-tu jamais de vacances ? Ça te ferait du bien.

Je n’ai pas le temps. Soit je prépare un spectacle, soit j’écris un film, soit je le tourne, soit je le monte ou le mixe. Mais… mais… mais, il m’arrive

de me promener chez moi en maillot de bain avec mes mules Charvet ou mes Gucci à fleurs, et j’ai l’impression d’être à la mer. Et, en plus, je sais que je ne vais pas bronzer.

Valérie, pourquoi as-tu demandé à Patrick Timsit de jouer le rôle de Miguel, ton amoureux ?

C’est le plus séduisant, le plus intelligen­t, le plus généreux et le plus gentil des comédiens. Il a quelque chose de solaire. Il n’est pas flippé et il fallait un acteur qui ait un air portugais pour les besoins du film. Quand je lui ai envoyé le scénario, il m’a répondu : « Je suis ton homme. » Pour moi, le prince charmant n’a pas besoin d’être grand, mince et blond. Je ne choisirais pas Hugh Grant pour jouer dans une comédie romantique. Ce qui me plaît chez un homme, c’est qu’il soit doux, rassurant, féminin, qu’il n’ait pas peur d’être à la fois papa, maman, amant. Et, dans le film, Timsit me note son numéro de téléphone sur un citron. C’est irrésistib­le, mais tout le monde ne serait pas crédible dans ce genre d’exercice.

Valérie, te rends-tu compte que ce couple est l’alliance de la carpe et du lapin ? Il est un peu rond, et toi tu es mince et plus grande que lui… Justement. Je ne crois pas aux couples assortis. Ces deux-là ne sont pas du même milieu. Ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Et pourtant ils vont s’aimer. Ce qui les rassemble, c’est leur mal-être. Ils ont tous les deux des boulots qui ne leur plaisent pas. Elle vend des cigarettes électroniq­ues. Lui sert du poisson congelé dans des assiettes carrées pour un restaurant qui n’est pas le sien. Ils ont tous les deux été quittés par leur conjoint.

Raconter une histoire d’amour et parler grand du réveil de la cinquantai­ne

Ils ont perdu leur job et sont retournés vivre chez leurs parents. Ils sont bien amochés. Le vide qui s’installe autour d’eux ne demande qu’à être remplacé. Il le sera par l’amour.

Valérie, ne trouves-tu pas un peu cliché de montrer dans ton film que l’on est plus heureux dans une loge de gardienne que dans un appartemen­t de la bourgeoisi­e du XVIe, même un peu rance ?

Pas du tout. Regarde comment mes parents me traitent lorsque je reviens chez eux après avoir décidé de larguer mon mari, qui m’avait avoué qu’il me trompait… La seule chose que mon père trouve à me dire, c’est : « Tu devrais épouser Stéphane Bern. » Et ma mère : « Tu devrais aller voir le musée du Liège qui vient d’ouvrir. » À l’évidence, je les dérange. J’avoue que c’est perturbant de voir ses enfants revenir à la maison, de supporter leur foutoir et de devoir, chaque matin, dans sa propre salle de bains, refermer le tube du dentifrice laissé ouvert. Papa garde sa chambre, maman a pris la mienne, celle de ma soeur ne bouge pas, et moi, je me retrouve à dormir dans le salon après qu’elle m’eut dit comme à une enfant de 5 ans : « Tu nous ferais un caca bouilli si je te dis que tu vas dormir dans le canapé-lit ? » À l’inverse, Miguel, lui, récupère l’unique chambre et ses parents s’installent dans la pièce commune de la minuscule loge de gardiens.

Valérie, tu es incorrigib­le.

Tu n’as pas pu t’empêcher de critiquer une nouvelle fois la bourgeoisi­e…

Pas du tout. J’adore la bourgeoisi­e. Elle me fait hurler de rire. J’en viens et c’est mon fonds de commerce. D’ailleurs, j’ai fait de ma soeur jumelle que j’incarne dans le film un vrai prototype de bourge assez caricatura­le.

Valérie, ne trouves-tu pas que tu t’enlaidis dans ton film ?

Je joue le rôle de Marie-Francine, et Marie-Francine ne veut pas être glamour. Elle a le droit, non ? Dans la vie, il n’y a pas que des femmes en jean slim et stilettos. Marie-Francine n’est pas une bête de mode, je te l’accorde. Elle est habillée comme l’était Ségolène Royal à sa sortie de l’ENA, dont je me suis d’ailleurs inspirée. Elle n’est pas dans le paraître. Elle ne sait pas qui est Ryan Gosling ! C’est une fille qui toute sa vie, en tant que chercheuse, a eu le nez dans ses cellules souches et en a oublié qu’elle avait un mari.

Valérie, tes personnage­s ne sont pas drôles du tout…

C’est vrai. Quand tu viens de perdre ton job et de te faire larguer parce que tu es trop vieille,

c’est pas rigolo. Et puis l’amour n’est pas drôle. Surtout au début. On ne sait pas quoi se raconter. Ce ne sont pas mes personnage­s qui sont drôles, mais ce sont les situations dans lesquelles ils se retrouvent.

Valérie, pourquoi as-tu affublé ton héroïne de ce prénom ridicule ?

Ce prénom, je l’aime. Il est désuet et très rare. J’ai regardé dans les registres. Il y a seulement quatorze personnes qui le portent en France. Tout le monde ne s’appelle pas Marie-Francine.

Valérie, quelle fable as-tu voulu raconter avec ce film ? Raconter une histoire d’amour et parler du grand réveil de la cinquantai­ne. « Le Derrière » expliquait comment être la fille de son père, « 100 % Cachemire » comment devenir mère, et « Marie-Francine » comment retrouver sa place et sa dignité quand on vous a mise de côté et qu’on a jugé que vous étiez périmée.

Valérie, aimes-tu encore la scène ?

Plus que tout. J’adore faire rire le public qui est venu me voir. Sur scène, on fabrique devant les gens, et j’aime fabriquer. Je peux être une petite fille de 5 ans, une grand-mère, une bombasse… Le théâtre fait partie de moi. Quand je ne vais pas au théâtre, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas à quoi je sers. La nuit m’angoisse. Je déteste sortir. Parfois je me demande si je n’ai pas fait du théâtre pour pouvoir refuser les dîners en ville.

* En salles le 31 mai. De et avec Valérie Lemercier, Denis Podalydès, Hélène Vincent, Patrick Timsit, Philippe Laudenbach.

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