Madame Figaro

/Pause philo : Alexandre Lacroix. 36/Les 7 infos : l’actu de la semaine.

- par Alexandre Lacroix

Vous cherchez à attraper une grande idée ? Par exemple, vous voulez saisir ce qu’est le Beau ou le Mal ? Pas de problème ! Pour commencer – conseil un peu provocateu­r –, ne cherchez qu’en vous-même. Explorez vos souvenirs, remémorez-vous des conversati­ons, des situations marquantes. Essayez de penser à ce jour où vous avez fait, pour la dernière fois, l’expérience du Beau : était-ce sur une plage de Bretagne chahutée par la marée montante, ou plus simplement en contemplan­t, depuis votre fenêtre, la procession or et sang d’un ample crépuscule ? Ou encore n’était-ce nullement devant un paysage, mais en écoutant une musique, en regardant un visage où palpitaien­t des émotions insaisissa­bles ? Pour le Mal, éloignez toute référence au Décalogue, ne consultez pas la liste officielle et ennuyeuse des interdits, mais passez plutôt en revue les moments où vous avez la certitude intime d’avoir mal agi. Pourquoi ? De quoi vous sentez-vous le plus coupable : d’avoir trahi les autres, ou de n’avoir pas été fidèle à vous-même ? L’erreur, lorsqu’on aborde le domaine des idées, serait de se persuader que l’on n’est pas qualifié, de se laisser impression­ner par les

sommets de la tradition philosophi­que. Dans le livre X de « la République », Socrate avance une théorie très étrange. Il prend pour exemple l’« idée de lit » que le menuisier a en tête lorsqu’il fabrique ce meuble. Et il affirme que cette idée n’a pas été façonnée par le menuisier lui-même ni… par aucun autre être humain ! Socrate soutient que les idées seraient l’oeuvre d’un énigmatiqu­e « phyturgos » (c’est le mot qu’il emploie, en grec), soit d’un démiurge ou d’un dieu… Dans l’ensemble des dialogues de Platon, les idées sont dotées de propriétés habituelle­ment réservées au divin : elles sont dites « uniques », « éternelles », « immuables »… Cette manière de diviniser les idées, de les idolâtrer, n’est pas seulement délirante. C’est un véritable poison. Car c’est intimidant, et le résultat est que chacun finit par se convaincre qu’il n’est pas capable d’embrasser de grandes idées. Oui, vingt-quatre siècles après Platon, il n’est pas inutile de rappeler que les idées ont une nature terrestre et que les humains en sont bien les auteurs – tous les humains, et pas seulement quelques philosophe­s. Les principale­s notions – comme le Beau ou le Mal, l’Amour ou le Bonheur – ne sont rien d’autre que des mots, avec lesquels nous tentons de nommer des catégories d’expérience­s. C’est donc en partant du vécu que nous pouvons en découvrir le sens. Ainsi, les idées sont toujours à portée de main, il suffit de se pencher un peu pour les cueillir.

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