/Lab : la nuit, luxe ultime ?
SAMEDI 20 MAI A LIEU À TRAVERS L’EUROPE LA NUIT DES MUSÉES. PRÉTEXTE SALUTAIRE À UNE AVENTURE PLUS VASTE ET PLUS INTIME.
Le bruit diurne fabriqué par l’homme – celui des embouteillages, des transports, des chantiers, des activités d’extraction… – perturbe dangereusement la nature. Pour la première fois, des chercheurs de l’université du Colorado publient, dans la revue « Science », une étude réalisée à vaste échelle qui montre combien nos vacarmes en tout genre affectent les écosystèmes jusque dans les zones protégées, faisant fuir les oiseaux (ou modifiant leur chant) et diminuant la pollinisation des forêts et leur diversité. Celui, homme ou animal, qui chercherait refuge dans le silence de la nuit s’apercevra vite qu’elle est aujourd’hui en voie de disparition, tant un consumérisme mondialisé étend d’est en ouest son fracas acoustique comme sa lumière au néon. Alors voilà que les initiatives se multiplient pour rendre à la nuit son obscurité, son ciel étoilé, son capital mystère et poétique. Et si depuis le début des années 2000 pas moins de 39 pays en Europe célèbrent la Nuit des musées (elle tombe ce samedi 20 mai), c’est parce qu’ils ont compris que, la nuit, l’offre prenait un tout autre visage. Plus rare, plus drôle, plus sélective, cette visite tardive propose d’en finir avec la déambulation guidée devant les oeuvres pour vivre une véritable expérience nocturne. Du frisson ! C’est aussi après l’émotion et une autre part de vérité qu’a couru le phénomène Nuit debout. La Fondation Cartier à Paris lance (de mai à septembre) des Nuits de l’incertitude *, qui vont réunir artistes, scientifiques et intellectuels sur d’insaisissables thèmes (la vitesse, par exemple, avec Cédric Villani). « La nuit remue », écrivait Michaux (en 1935 !). On ne vous parle pas là de la nuit marchande de Las Vegas, mais du culte d’une nuit où tous les chats sont gris. Autrement dit, les hommes moins définis par leurs rôles ou leurs étiquettes. « La nuit, on regarde les gens différemment, on les laisse être », dit le philosophe Michaël Foessel, qui publie « La Nuit. Vivre sans témoin » (éd. Autrement). Un «dark-sky movement» (mouvement de protection du ciel nocturne) regroupant quantité d’astronomes s’est mis en place contre la dégradation du ciel étoilé par la diffusion atmosphérique de la lumière artificielle : 20 % de la population mondiale ne voient plus la Voie lactée à l’oeil nu ! Ainsi d’artistes en scientifiques s’élabore une voix planétaire qui revendique le luxe de voir encore surgir… 50 nuances de nuit.