/Cover story : la nouvelle vie de Marion Cotillard.
Elle est l’héroïne vibrante du film d’ouverture de Cannes, “les Fantômes d’Ismaël”, d’Arnaud Desplechin. Mais aujourd’hui c’est en famille, loin des plateaux, que la French superstar veut savourer son bonheur après la naissance de son deuxième enfant.
UN APRÈS-MIDI DE PLUIE À PARIS. DANS UN GRAND HÔTEL PARISIEN, Marion Cotillard fait des allers-retours entre le salon où la photographe Dominique Issermann saisit son image pour « Madame Figaro » et une chambre attenante où elle allaite à intervalles réguliers l’insatiable Louise, son bébé de quelques semaines. L’actrice et la mère, les deux facettes d’une femme qui n’en font qu’une, encore plus attendrissante avec son enfant dans ses bras durant l’interview.
La fin de l’année dernière l’a lessivée : deux tours du monde, enceinte, pour accompagner les sorties des blockbusters américains « Alliés » et « Assassin’s Creed ». L’atterrissage en France et en douceur a été marqué par un accouchement et la sortie de « Rock’n’Roll », mise en abîme décapante sur la célébrité, signée de son compagnon, Guillaume Canet.
Marion Cotillard a regagné ses pénates parisiens. Cette année, elle le jure, on ne verra plus cette exceptionnelle actrice à performance qu’une seule fois au cinéma, dans
« les Fantômes d’Ismaël », film d’Arnaud Desplechin qui a eu le redoutable honneur d’ouvrir le Festival de Cannes mercredi dernier, jour de sa sortie sur les écrans.
Un retour sur un territoire qui lui est cher, celui du cinéma d’auteur. Et tout particulièrement celui de Desplechin, réalisateur certifié « rive gauche », qui l’accueille dans une famille d’acteurs menée par Mathieu Amalric, qui joue ici son mari. Elle est Carlotta Bloom, sa femme, mystérieusement portée disparue il y a plus de vingt ans, qui ressurgit brusquement au moment où il est en train de refaire sa vie avec Sylvia (Charlotte Gainsbourg), une astrophysicienne qui semble apaiser les tumultes de cet homme fantasque, artiste excessif dont l’existence oscille entre chaos et poésie.
« MADAME FIGARO ». – Quelle est l’humeur du moment ? MARION COTILLARD. – C’est beaucoup de douceur, de joie et de dévouement : je me consacre entièrement à ma famille, et c’est très agréable. J’avais besoin de calme après le tumulte de mes dernières tournées promotionnelles. C’était beaucoup pour ma condition de femme enceinte, mais il était impensable que je n’accompagne pas ces films que j’aimais.
N’était-il pas déraisonnable de vous surmener à ce point ?
Je ne me pose pas ce genre de questions. J’arrivais à préserver du temps – je ne sais pas comment mais j’y suis arrivée – pour rester proche des gens dont j’ai besoin et qui ont besoin de moi. Tout le reste, je l’avais choisi. Et finalement l’année dernière a été celle où je me suis recentrée.
Faut-il un moral et un corps d’acier pour enchaîner des expériences cinématographiques très exigeantes ?
Je suis très résistante : je possède un corps qui m’accompagne merveilleusement. Je n’ai pas le droit de me plaindre : j’ai fait des choix qui sont les choix d’une privilégiée. Pareil pour les enfants : c’est un luxe d’être un acteur quand on a des enfants. Je mesure chaque jour la chance que j’ai d’avoir la possibilité d’organiser ma vie autour d’eux. Sur un tournage, tant qu’ils sont petits, je peux les voir dans ma loge entre deux scènes.
Appréhende-t-on la possibilité d’être une mauvaise mère quand on est actrice ?
Le métier a beaucoup changé. Ce qui était sans doute vrai pour les actrices d’hier ne l’est plus aujourd’hui :
L’année dernière a été celle où je me suis recentrée
la maternité est complètement intégrée. L’enfant est au centre des préoccupations de beaucoup d’actrices et mères, et les gens sont très respectueux de ça.
Cela n’ennuie pas les réalisateurs ou les producteurs, une actrice enceinte ?
Cela peut être une crainte chez certains, mais s’ils vous engagent c’est en connaissance de cause. Sur le film d’Arnaud Desplechin, j’étais enceinte mais je n’avais rien dit, car j’étais à moins de trois mois de grossesse. Et puis j’ai été shootée par des paparazzis, et les photos sont sorties dans des torchons qui ont prétendu que j’étais enceinte de cinq mois, sans doute pour rendre la chose acceptable. J’ai appelé Arnaud Desplechin pour qu’il l’apprenne de ma bouche. Et il était très heureux pour moi… Cette nouvelle collait à son film, qui est un hymne à la vie…
Oui, la vie revient dans tous les personnages ; même ceux qui sont proches de la mort, la vie leur réserve un dernier élan, leur donne une dernière accolade. D’ailleurs, mon personnage s’appelle Carlotta Bloom : « bloom », c’est « fleurir », en anglais. La vie refleurit chez les gens meurtris – son mari, joué par Mathieu Amalric, son père…
Tourner avec Desplechin, dans un cinéma d’auteur un peu élitiste, c’était important pour vous ?
J’ai déjà tourné avec lui il y a vingt ans : j’ai une scène dans « Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) ». J’étais à moitié nue, donc très mal à l’aise. Je ne pense pas que quiconque m’ait remarquée. Aujourd’hui, nous sommes des personnes différentes, et j’étais très heureuse de le retrouver avec un rôle si beau, si fort. Comment s’est passée votre rencontre avec Charlotte Gainsbourg ? C’est une grande actrice, qui prend constamment des risques incroyables dans ses films. On ne se connaissait pas. Elle est très délicate. Il y a eu beaucoup de douceur dans nos échanges. On n’a pas parlé de cinéma, seulement de la vie et de nos enfants…
Carlotta, votre personnage, est assez shakespearienne.
On peut même penser qu’elle n’existe pas…
Elle pourrait ne pas exister, être un fantôme du passé, mais pour moi elle est très réelle, très vivante, très ancrée.
Elle est paradoxale : d’un côté, elle est frontale, effrontée et sincère, d’un autre, elle est complètement énigmatique et aérienne. On ne sait pas vraiment d’où elle revient, ni comment. C’est le mystère et son contraire. J’aime jouer ce genre de personnages, complexes, profonds, paradoxaux.
Vous ressemble-t-elle ?
Quand j’étais adolescente, comme elle, j’ai eu le désir de disparaître et de tout recommencer ailleurs, en me délestant du poids de ma vie d’alors. Mal dans ma peau, je rêvais de refaire ma vie dans un endroit où j’arriverais à être celle que je rêvais d’être. Et alors ?
Je n’ai pas clairement identifié ce mal-être, mais je m’en suis relevée, même s’il peut y avoir de petites rechutes parfois. J’ai fini par trouver le moyen de ne plus me haïr. Il faut du courage pour partir…
Il faut autant de courage pour rester et accepter d’être soi-même.
2017 est-elle l’année de la renaissance, avec un deuxième enfant et un retour dans le cinéma français ?
Ce sera surtout une année de repos.
Je ne tournerai plus dans les prochains mois, j’ai dit non à tout ce qu’on me proposait, même à des réalisateurs que j’adore. Je veux prendre du temps pour ma famille et pour moi. Mon fils entre au CP et ma fille est un bébé. Je veux vivre avec eux, avec leur père, c’est une envie et un besoin. Quand je tourne, je suis dans un engagement total, et ce n’est pas ce que je veux pour moi pour l’instant.