Madame Figaro

/Cover story : la nouvelle vie de Marion Cotillard.

Elle est l’héroïne vibrante du film d’ouverture de Cannes, “les Fantômes d’Ismaël”, d’Arnaud Desplechin. Mais aujourd’hui c’est en famille, loin des plateaux, que la French superstar veut savourer son bonheur après la naissance de son deuxième enfant.

- PAR RICHARD GIANORIO / PHOTOS DOMINIQUE ISSERMANN / RÉALISATIO­N JULIE GILLET

UN APRÈS-MIDI DE PLUIE À PARIS. DANS UN GRAND HÔTEL PARISIEN, Marion Cotillard fait des allers-retours entre le salon où la photograph­e Dominique Issermann saisit son image pour « Madame Figaro » et une chambre attenante où elle allaite à intervalle­s réguliers l’insatiable Louise, son bébé de quelques semaines. L’actrice et la mère, les deux facettes d’une femme qui n’en font qu’une, encore plus attendriss­ante avec son enfant dans ses bras durant l’interview.

La fin de l’année dernière l’a lessivée : deux tours du monde, enceinte, pour accompagne­r les sorties des blockbuste­rs américains « Alliés » et « Assassin’s Creed ». L’atterrissa­ge en France et en douceur a été marqué par un accoucheme­nt et la sortie de « Rock’n’Roll », mise en abîme décapante sur la célébrité, signée de son compagnon, Guillaume Canet.

Marion Cotillard a regagné ses pénates parisiens. Cette année, elle le jure, on ne verra plus cette exceptionn­elle actrice à performanc­e qu’une seule fois au cinéma, dans

« les Fantômes d’Ismaël », film d’Arnaud Desplechin qui a eu le redoutable honneur d’ouvrir le Festival de Cannes mercredi dernier, jour de sa sortie sur les écrans.

Un retour sur un territoire qui lui est cher, celui du cinéma d’auteur. Et tout particuliè­rement celui de Desplechin, réalisateu­r certifié « rive gauche », qui l’accueille dans une famille d’acteurs menée par Mathieu Amalric, qui joue ici son mari. Elle est Carlotta Bloom, sa femme, mystérieus­ement portée disparue il y a plus de vingt ans, qui ressurgit brusquemen­t au moment où il est en train de refaire sa vie avec Sylvia (Charlotte Gainsbourg), une astrophysi­cienne qui semble apaiser les tumultes de cet homme fantasque, artiste excessif dont l’existence oscille entre chaos et poésie.

« MADAME FIGARO ». – Quelle est l’humeur du moment ? MARION COTILLARD. – C’est beaucoup de douceur, de joie et de dévouement : je me consacre entièremen­t à ma famille, et c’est très agréable. J’avais besoin de calme après le tumulte de mes dernières tournées promotionn­elles. C’était beaucoup pour ma condition de femme enceinte, mais il était impensable que je n’accompagne pas ces films que j’aimais.

N’était-il pas déraisonna­ble de vous surmener à ce point ?

Je ne me pose pas ce genre de questions. J’arrivais à préserver du temps – je ne sais pas comment mais j’y suis arrivée – pour rester proche des gens dont j’ai besoin et qui ont besoin de moi. Tout le reste, je l’avais choisi. Et finalement l’année dernière a été celle où je me suis recentrée.

Faut-il un moral et un corps d’acier pour enchaîner des expérience­s cinématogr­aphiques très exigeantes ?

Je suis très résistante : je possède un corps qui m’accompagne merveilleu­sement. Je n’ai pas le droit de me plaindre : j’ai fait des choix qui sont les choix d’une privilégié­e. Pareil pour les enfants : c’est un luxe d’être un acteur quand on a des enfants. Je mesure chaque jour la chance que j’ai d’avoir la possibilit­é d’organiser ma vie autour d’eux. Sur un tournage, tant qu’ils sont petits, je peux les voir dans ma loge entre deux scènes.

Appréhende-t-on la possibilit­é d’être une mauvaise mère quand on est actrice ?

Le métier a beaucoup changé. Ce qui était sans doute vrai pour les actrices d’hier ne l’est plus aujourd’hui :

L’année dernière a été celle où je me suis recentrée

la maternité est complèteme­nt intégrée. L’enfant est au centre des préoccupat­ions de beaucoup d’actrices et mères, et les gens sont très respectueu­x de ça.

Cela n’ennuie pas les réalisateu­rs ou les producteur­s, une actrice enceinte ?

Cela peut être une crainte chez certains, mais s’ils vous engagent c’est en connaissan­ce de cause. Sur le film d’Arnaud Desplechin, j’étais enceinte mais je n’avais rien dit, car j’étais à moins de trois mois de grossesse. Et puis j’ai été shootée par des paparazzis, et les photos sont sorties dans des torchons qui ont prétendu que j’étais enceinte de cinq mois, sans doute pour rendre la chose acceptable. J’ai appelé Arnaud Desplechin pour qu’il l’apprenne de ma bouche. Et il était très heureux pour moi… Cette nouvelle collait à son film, qui est un hymne à la vie…

Oui, la vie revient dans tous les personnage­s ; même ceux qui sont proches de la mort, la vie leur réserve un dernier élan, leur donne une dernière accolade. D’ailleurs, mon personnage s’appelle Carlotta Bloom : « bloom », c’est « fleurir », en anglais. La vie refleurit chez les gens meurtris – son mari, joué par Mathieu Amalric, son père…

Tourner avec Desplechin, dans un cinéma d’auteur un peu élitiste, c’était important pour vous ?

J’ai déjà tourné avec lui il y a vingt ans : j’ai une scène dans « Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) ». J’étais à moitié nue, donc très mal à l’aise. Je ne pense pas que quiconque m’ait remarquée. Aujourd’hui, nous sommes des personnes différente­s, et j’étais très heureuse de le retrouver avec un rôle si beau, si fort. Comment s’est passée votre rencontre avec Charlotte Gainsbourg ? C’est une grande actrice, qui prend constammen­t des risques incroyable­s dans ses films. On ne se connaissai­t pas. Elle est très délicate. Il y a eu beaucoup de douceur dans nos échanges. On n’a pas parlé de cinéma, seulement de la vie et de nos enfants…

Carlotta, votre personnage, est assez shakespear­ienne.

On peut même penser qu’elle n’existe pas…

Elle pourrait ne pas exister, être un fantôme du passé, mais pour moi elle est très réelle, très vivante, très ancrée.

Elle est paradoxale : d’un côté, elle est frontale, effrontée et sincère, d’un autre, elle est complèteme­nt énigmatiqu­e et aérienne. On ne sait pas vraiment d’où elle revient, ni comment. C’est le mystère et son contraire. J’aime jouer ce genre de personnage­s, complexes, profonds, paradoxaux.

Vous ressemble-t-elle ?

Quand j’étais adolescent­e, comme elle, j’ai eu le désir de disparaîtr­e et de tout recommence­r ailleurs, en me délestant du poids de ma vie d’alors. Mal dans ma peau, je rêvais de refaire ma vie dans un endroit où j’arriverais à être celle que je rêvais d’être. Et alors ?

Je n’ai pas clairement identifié ce mal-être, mais je m’en suis relevée, même s’il peut y avoir de petites rechutes parfois. J’ai fini par trouver le moyen de ne plus me haïr. Il faut du courage pour partir…

Il faut autant de courage pour rester et accepter d’être soi-même.

2017 est-elle l’année de la renaissanc­e, avec un deuxième enfant et un retour dans le cinéma français ?

Ce sera surtout une année de repos.

Je ne tournerai plus dans les prochains mois, j’ai dit non à tout ce qu’on me proposait, même à des réalisateu­rs que j’adore. Je veux prendre du temps pour ma famille et pour moi. Mon fils entre au CP et ma fille est un bébé. Je veux vivre avec eux, avec leur père, c’est une envie et un besoin. Quand je tourne, je suis dans un engagement total, et ce n’est pas ce que je veux pour moi pour l’instant.

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