/Défilés : mythologie moderne.
Colonnes doriques et décor de péplum au Grand Palais : pour Chanel, Karl Lagerfeld convoque l’Olympe et place la présentation de sa collection Croisière sous influence hellénique.
Àl’heure où Damien Hirst expose au Palazzo Grassi, à Venise, un bric-à-brac arty prétendument repêché au fond de la Méditerranée – statues grecques oxydées en atelier et autre colosse monumental en résine peinte –, Karl Lagerfeld, différemment, propose une odyssée du style tournée vers les rivages de la Grèce antique. Cette collection Croisière a été présentée le 3 mai dernier non pas à Athènes, comme c’était le souhait de la maison Chanel, mais, à Paris, dans un Grand Palais orné de ruines en carton-pâte et d’oliviers qui n’auraient pas déplu à Hubert Robert, ni déparé un péplum tourné à Cinecittà. Le carton d’invitation du défilé représentait une vénus acéphale en marbre ayant appartenu à Gabrielle Chanel, sous-titrée d’un « statement » ayant valeur catégorique, « La modernité de l’Antiquité ».
La mythologie convoquée par Karl Lagerfeld est évidemment moderne, même si elle prend sa source dans un mix foisonnant : c’est le souvenir de ses lectures d’Homère, l’image de la déesse Serpent crétoise, des
silhouettes aperçues sur des bas-reliefs siciliens, les toges de la danseuse Isadora Duncan, le romantisme allemand ou même, pourquoi pas, l’évocation de la villa néoclassique qu’il posséda un temps près de Hambourg. Le couturier, qui a horreur du premier degré, propose évidemment une (ré)interprétation « tweed & Troie » qui n’est que le fruit de son imaginaire sans limites et de sa culture colossale : « Ma Grèce est une idée. La réalité, je m’en fous », souligne-t-il.
On le rencontre brièvement la veille de son défilé lors de l’accessoirisation, répétition ultime où Karl Lagerfeld apporte ses dernières touches, rectifie, améliore d’un rien, ici un bijou (« C’est modeste ! Plus de bracelets ! »), là un accessoire (« C’est joli, non ? », un sac figurant des chouettes, symboles d’Athènes), ou même une recommandation courtoise à l’adresse d’une mannequin : « Be sexy but elegant. » Devant un verre de jus de pomme – de la marque Choupette, cela ne s’invente pas – et un gâteau sec, le roi Karl – qui est un peu le roi Midas de la maison Chanel – évoque ses vestales en tailleurs, ses inspirations toujours fulgurantes et les méandres d’une imagination jamais à court de trouvailles brillantes et de second degré (les spartiates fluo avec des talons en forme de colonne ionique).
Le jour J, sa collection, pop, au classicisme transfiguré, hissera les populations du front row au sommet d’un Olympe sophistiqué. La guerre des Anciens et des Modernes n’aura pas lieu tant Karl Lagerfeld sait les réconcilier. Sa finesse n’a pas son pareil pour revisiter les codes maison avec une vision qui ne doit rien à la nostalgie du passé et, finalement, bien peu à l’Antiquité, si ce n’est son évocation et son décorum. Son chic couture – imbattable – est intemporel.