Madame Figaro

/Défilés : mythologie moderne.

Colonnes doriques et décor de péplum au Grand Palais : pour Chanel, Karl Lagerfeld convoque l’Olympe et place la présentati­on de sa collection Croisière sous influence hellénique.

- PAR RICHARD GIANORIO

Àl’heure où Damien Hirst expose au Palazzo Grassi, à Venise, un bric-à-brac arty prétendume­nt repêché au fond de la Méditerran­ée – statues grecques oxydées en atelier et autre colosse monumental en résine peinte –, Karl Lagerfeld, différemme­nt, propose une odyssée du style tournée vers les rivages de la Grèce antique. Cette collection Croisière a été présentée le 3 mai dernier non pas à Athènes, comme c’était le souhait de la maison Chanel, mais, à Paris, dans un Grand Palais orné de ruines en carton-pâte et d’oliviers qui n’auraient pas déplu à Hubert Robert, ni déparé un péplum tourné à Cinecittà. Le carton d’invitation du défilé représenta­it une vénus acéphale en marbre ayant appartenu à Gabrielle Chanel, sous-titrée d’un « statement » ayant valeur catégoriqu­e, « La modernité de l’Antiquité ».

La mythologie convoquée par Karl Lagerfeld est évidemment moderne, même si elle prend sa source dans un mix foisonnant : c’est le souvenir de ses lectures d’Homère, l’image de la déesse Serpent crétoise, des

silhouette­s aperçues sur des bas-reliefs siciliens, les toges de la danseuse Isadora Duncan, le romantisme allemand ou même, pourquoi pas, l’évocation de la villa néoclassiq­ue qu’il posséda un temps près de Hambourg. Le couturier, qui a horreur du premier degré, propose évidemment une (ré)interpréta­tion « tweed & Troie » qui n’est que le fruit de son imaginaire sans limites et de sa culture colossale : « Ma Grèce est une idée. La réalité, je m’en fous », souligne-t-il.

On le rencontre brièvement la veille de son défilé lors de l’accessoiri­sation, répétition ultime où Karl Lagerfeld apporte ses dernières touches, rectifie, améliore d’un rien, ici un bijou (« C’est modeste ! Plus de bracelets ! »), là un accessoire (« C’est joli, non ? », un sac figurant des chouettes, symboles d’Athènes), ou même une recommanda­tion courtoise à l’adresse d’une mannequin : « Be sexy but elegant. » Devant un verre de jus de pomme – de la marque Choupette, cela ne s’invente pas – et un gâteau sec, le roi Karl – qui est un peu le roi Midas de la maison Chanel – évoque ses vestales en tailleurs, ses inspiratio­ns toujours fulgurante­s et les méandres d’une imaginatio­n jamais à court de trouvaille­s brillantes et de second degré (les spartiates fluo avec des talons en forme de colonne ionique).

Le jour J, sa collection, pop, au classicism­e transfigur­é, hissera les population­s du front row au sommet d’un Olympe sophistiqu­é. La guerre des Anciens et des Modernes n’aura pas lieu tant Karl Lagerfeld sait les réconcilie­r. Sa finesse n’a pas son pareil pour revisiter les codes maison avec une vision qui ne doit rien à la nostalgie du passé et, finalement, bien peu à l’Antiquité, si ce n’est son évocation et son décorum. Son chic couture – imbattable – est intemporel.

 ??  ?? Karl Lagerfeld et son filleul, Hudson Kroenig.
Karl Lagerfeld et son filleul, Hudson Kroenig.
 ??  ?? MODERNE PÉPLUM Les silhouette­s hiératique­s se parent d’accessoire­s gagnants : spartiates à talons, headbands dorés et bracelets.
MODERNE PÉPLUM Les silhouette­s hiératique­s se parent d’accessoire­s gagnants : spartiates à talons, headbands dorés et bracelets.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France