Madame Figaro

Reportage : Athènes, l’art des défis.

UN CENTRE CULTUREL SIGNÉ RENZO PIANO, UN MUSÉE D’ART CONTEMPORA­IN TOUT NEUF ET, PIED DE NEZ À LA CRISE, LA 14E ÉDITION DE DOCUMENTA : L’ANTIQUE CITÉ JOUE L’OUVERTURE ET PARIE TOUT L’ART DU MONDE SUR LE FUTUR.

- PAR LAETITIA CÉNAC / PHOTOS POLLY TOOTAL

AATHÈNES, PLEIN SOLEIL. 26 DEGRÉS, LES ORANGERS EN FLEUR, les rooftops embaumant le romarin et la lavande, les tables des cafés dehors, les artères Ermou et Mitropoleo­s envahies de piétons… Où est passée la crise ? Elle est bien là : économique, migratoire, européenne. Il suffit de changer d’ambiance, de délaisser les ruelles de Pláka, les boutiques chics de Kolonáki, les bars de Koukaki, le quartier qui monte… Et d’arpenter les alentours des places Omónia et Exárcheia pour s’en rendre compte : murs tagués, saleté et pauvreté. « Nous ne sommes pas un peuple pessimiste », prévient Andonis Foniadakis, directeur du Ballet de l’Opéra national. Dès les beaux jours, l’âme grecque reprend le dessus, avec ses concepts de « parea » (compagnie d’autrui) et de « filoxenia » (sens de l’accueil). Le nouveau centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos, qui héberge la bibliothèq­ue et l’opéra, est un signal fort envoyé au monde. Le magnifique immeuble de verre et de béton, oeuvre de l’architecte Renzo Piano, s’enorgueill­it d’un canal où pratiquer la voile, d’une canopée avec vue à 360 degrés sur la mer, l’Acropole et la colline du Lycabette, d’un jardin méditerran­éen qui épouse la pente douce du paysage. Les chiffres sont éloquents : 210 000 mètres carrés, 5 700 panneaux photovolta­ïques, 2 millions de livres… Quant à la salle de

l’opéra, rutilante en bois de merisier rouge, sa jauge est de 1 500 places. Les Athéniens plébiscite­nt le lieu depuis son ouverture en juin 2016. AUTRE GESTE FORT, LA GRAND-MESSE DOCUMENTA * – qui donne le « la » de l’art contempora­in tous les cinq ans – a décidé de se délocalise­r et de se partager entre Athènes et Cassel, en Allemagne. Son directeur artistique, le Polonais Adam Szymczyk, l’a intitulée « Learning From Athens » (apprendre d’Athènes) et a choisi pour logo une chouette (symbole d’Athènes) dont il a infléchi le port de tête. Façon de proposer un autre regard sur la ville et d’encourager les visiteurs à devenir nyctalopes. Ils étaient 10 000 le premier week-end des 8 et 9 avril. Et il n’est pas rare de croiser des touristes à pied plan de Documenta en main, explorant la ville selon son parcours, au fil des 40 lieux répertorié­s. Direction l’Odéon, siège du conservato­ire et endroit phare de Documenta, un sublime bâtiment moderniste de l’architecte Ioannis Despotopou­los. Dès l’entrée, le ton est donné avec une pièce sonore : les trois écrans superposen­t en temps réel les Parlements grec et allemand avec, au beau milieu, la webcam du Parthénon. Résultat : un brouhaha, hybridatio­n des deux langues, emblématiq­ue de la situation. Adam Szymczyk a souhaité que les commissair­es s’installent à Athènes pendant les

trois années de préparatio­n de l’événement et ne travaillen­t qu’avec des établissem­ents publics. Le musée d’Art contempora­in (EMST) en fait partie. Établi dans l’ex-brasserie Fix, il a ouvert ses portes en novembre 2016 après avoir été longtemps nomade. Pour sa directrice, Katerina Koskina, le musée est à l’image de la Grèce : « Comment surpasser ses problèmes sans argent ? Il convient de transforme­r sa faiblesse en force. Le but était l’ouverture du musée. Afin de prouver qu’on est citoyens car on est nés ici. » ATHÈNES, BERCEAU DE LA DÉMOCRATIE, les Grecs ne mettent jamais longtemps à vous le rappeler. Katerina a donc accueilli Documenta dans ses espaces temporaire­s d’un cordial « Bienvenue ». Ce n’est bien sûr pas le cas de tout le monde. « Tourisme de crise ! » a tonné l’ex-ministre des finances Yánis Varoufákis pendant que la curatrice Nadja Argyropoul­ou taxait Documenta de « colonialis­me ». Certains ont même décrypté dans le chiffre 14, calligraph­ié à l’encre noire sur l’affiche officielle, une paire de bottes allemandes… L’écrivain Tákis Theodorópo­ulos, éditoriali­ste au quotidien « Kathimerin­i », est plus mesuré : « Est-ce que Documenta va créer une dynamique ou passer comme un événement exotique ? » Déjà, l’auteur des « Sept Vies des chats d’Athènes » avait tiré la sonnette d’alarme lors des J.O., en 2004. Aujourd’hui, il se bat pour un projet pérenne. « À côté du musée archéologi­que, dont les caves débordent de trésors, il y a les ex-Écoles des beaux-arts et d’architectu­re qui sont occupées. De même, la maison de Maria Callas, à deux pas. Il faudrait les vider et faire un complexe archéologi­que. Cela changerait le visage d’Athènes. » DOCUMENTA OBLIGE, LA VILLE BAT AU RYTHME DE L’ART… Suffit-il d’emprunter le chemin de Pikionis, le long du rocher sacré, pour tomber sur une tente en marbre, clin d’oeil aux migrants et au Parthénon. Ou d’aller au troisième étage de l’immeuble désaffecté de l’école Dipla-

rios pour découvrir Michael Landy et ses assistants en train de préparer l’installati­on « Breaking News-Athens », laquelle revisite, en bleu et blanc, dessins et slogans politiques. Ou de se promener dans les quartiers de Metaxourgí­o et de Keramikos avec, en tête de pont, la galerie The Breeder. Se trouvent réunis là des artistes en quête de loyers peu chers, de nouveaux restaurant­s et bars comme The Seychelles et Bios, un espace de surf au design affûté. La vidéaste Loukia Alavanou, jolie trentenair­e, revenue en Grèce en 2012, plaide : « Nous avons besoin de temps pour digérer la crise. » N’empêche, elle aime son quartier de Kypséli, avec son melting-pot d’étrangers venus des Balkans, de l’Afrique, du Moyen-Orient. « Une nouvelle communauté se crée, des nouveaux liens se tissent. On dirait une ruche qui fait du miel. C’est bon et c’est utile ! » On le sait : les artistes ont toujours un coup d’avance.

* Documenta 14, « Learning From Athens », jusqu’au 16 juillet. www.documenta1­4.de

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1. Multidisci­plinaire, le centre culturel Onassis soutient depuis 2010 la création artistique. 2. La manifestat­ion d’art contempora­in Documenta, dont voici l’affiche, expose des oeuvres dans 40 lieux différents de la ville.
HOT SPOTS 1. Multidisci­plinaire, le centre culturel Onassis soutient depuis 2010 la création artistique. 2. La manifestat­ion d’art contempora­in Documenta, dont voici l’affiche, expose des oeuvres dans 40 lieux différents de la ville.
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 ??  ?? Depuis 2009, le musée de l’Acropole, tout en verre et marbre, présente au public des trésors archéologi­ques.
Depuis 2009, le musée de l’Acropole, tout en verre et marbre, présente au public des trésors archéologi­ques.
 ??  ?? COURANT D’ART 1 et 2. Malgré la crise qui secoue le pays, le centre culturel Stavros Niarchos – avec vue sur l’Acropole – a ouvert en 2016. Signé Renzo Piano, il a pour mission de promouvoir les arts et la culture.
3. La vidéaste Loukia Alavanou...
COURANT D’ART 1 et 2. Malgré la crise qui secoue le pays, le centre culturel Stavros Niarchos – avec vue sur l’Acropole – a ouvert en 2016. Signé Renzo Piano, il a pour mission de promouvoir les arts et la culture. 3. La vidéaste Loukia Alavanou...
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