Madame Figaro

KARL LAGERFELD : “LE BERCEAU DE LA BEAUTÉ”

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« MADAME FIGARO ». – Pourquoi l’Antiquité ? Karl Lagerfeld. – Parce que si on considère tout à la fois le corps et le vêtement, on ne peut pas faire plus simple et donc plus moderne. J’aime l’Antiquité, berceau de la culture et de la beauté, mais mon Antiquité est une vision de l’esprit, ce n’est évidemment ni une reconstitu­tion ni une rétrospect­ive. On n’est pas dans le vintage ! Gabrielle Chanel avait signé les costumes de l’« Antigone » de Cocteau en 1922.

Et il y a aussi ce torse en marbre dans son appartemen­t. Cela n’a pas un grand rapport mais me donne une légalité, une légitimité si vous voulez…

Quelles images de l’Antiquité vous viennent à l’esprit ?

Ce sont des atmosphère­s plus que des images à proprement parler. Vous savez, j’ai appris à lire pour me plonger dans « l’Iliade ». C’est constructe­ur.

À 6 ans, je parlais trois langues et je détestais évidemment les livres pour enfants. Je jouais au petit vieux qui a tout vu. J’étais insupporta­ble. Aujourd’hui, c’est le contraire, je suis un exemple de modestie.

Étiez-vous un sale gosse ?

Non. Sage en apparence. Si je créais le moindre trouble, c’était le pensionnat direct, comme mes soeurs, quelle horreur ! Je détestais déjà la promiscuit­é et j’avais une horreur physique des enfants. Je me servais d’eux pour astiquer mes bicyclette­s. J’en possédais six, et eux n’en avaient aucune : je leur proposais de faire un tour, mais en échange ils devaient les nettoyer. Bon, inutile de vous préciser que je n’avais aucun copain, mais cela ne me manquait pas : je n’étais pas franchemen­t intéressé par les péquenots du Schleswig-Holstein, la région où j’ai grandi…

Ce choix de l’Antiquité a-t-il à voir avec le romantisme allemand ?

Je suis né à Hambourg comme Brahms.

Et « Iphigénie en Tauride », de Goethe, commence à peu près ainsi : « Je cherche la terre des Grecs avec mon coeur et avec mon âme. » J’aime aussi beaucoup la culture crétoise. Vous savez, ce sont les Crétois qui ont inventé le bustier : regardez la fameuse déesse Serpent ! La Crète était une civilisati­on brillante, puis cela a été la tragédie : ils ont été envahis, charcutés, tout le monde s’est servi, bref, l’horreur totale.

Les corps antiques sont-ils très différents des corps d’aujourd’hui ?

On n’a pas de photos. Et les statues sont évidemment complèteme­nt idéalisées. Ce qui est certain, c’est qu’à ce moment-là le corps jouait un rôle qu’il a perdu ensuite. Le corps était libre et glorifié. Par la suite, avec l’Église catholique, on l’a couvert, et il a été progressiv­ement glissé dans un carcan : le corps a régressé. Mais, à l’époque, la notion de péché n’existait pas. Il fallait juste prendre garde à ne pas fâcher les dieux…

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