Madame Figaro

EMMANUELLE BERCOT

“Derrière la caméra, je deviens chef de guerre”

-

VOUS SENTEZ-VOUS MASCULINE OU FÉMININE

LORSQUE VOUS PASSEZ DERRIÈRE LA CAMÉRA ?

Ma part masculine prend le dessus. Tout ce qui est de l’ordre de l’apparence s’évanouit, et ça me pèse. Je deviens chef de guerre. Je suis en transe. Le film m’habite. Je livre une guerre multiple : financière, contre les acteurs aussi, parfois, contre le scénario et contre ma fatigue. Quand nous échangeons avec d’autres réalisateu­rs, j’ai le sentiment qu’on est de grands traumatisé­s qui, toutes proportion­s gardées, se racontent les tranchées.

D’OÙ VOTRE DÉSIR DE JOUER EST-IL NÉ ?

De la vision de « Husbands », de Cassavetes, découvert à 20 ans. Mais le cinéma me semblait inaccessib­le. C’était comme... marcher sur la Lune. J’ai fait le Cours Florent et raté le Conservato­ire, un drame. J’ai travaillé comme comédienne avec Robert Hossein. Puis j’ai décidé de faire La Fémis. Claude Miller m’a engagée dans « la Classe de neige », il m’a accordé sa confiance. Entre 18 et 27 ans, je ne savais pas répondre à la question : « Quel est votre métier ? » Je n’avais pas de rôle social, La Fémis me l’a donné. AVEZ-VOUS HÉSITÉ À ENDOSSER DANS « MON ROI »,

DE MAÏWENN, LE RÔLE POUR LEQUEL VOUS AVEZ DÉCROCHÉ

UN PRIX D’INTERPRÉTA­TION AU FESTIVAL DE CANNES EN 2015 ?

J’ai accepté avant de lire le scénario car c’était Maïwenn. L’hésitation est venue après : étais-je prête à cette exposition tant redoutée ? Un metteur en scène travaille dans l’ombre. Avec Maïwenn, le tournage a été dur, mais sa méthode de travail m’a galvanisée. Cannes 2015 fut singulier pour moi : j’ai défendu « Mon roi » en même temps que j’ai présenté mon film « la Tête haute » ; et quand on entend son nom au palmarès, c’est comme si on perdait connaissan­ce. LISEZ-VOUS LES CRITIQUES ?

Très longtemps, j’ai lu celles qui se montraient bienveilla­ntes à mon égard. Jusqu’à « la Tête haute », j’existais par la critique, non par le nombre d’entrées de mes films. Aujourd’hui, je reçois une mauvaise critique avec le même intérêt qu’une bonne, même si le sexisme peut s’y exprimer. Il y a une violence contre les réalisatri­ces que j’ai ressentie l’année de « Marguerite et Julien », de Valérie Donzelli, et de « la Tête haute », à Cannes. Les critiques s’autorisaie­nt un lynchage qu’ils n’auraient pas exercé avec des réalisateu­rs. VOUS REPROCHEZ-VOUS PARFOIS D’AVOIR MANQUÉ D’AMBITION ? J’ai longtemps trouvé extraordin­aire de faire un métier que j’aimais, je me moquais d’être à la marge. Désormais, j’ai envie d’essayer d’accomplir de grandes choses plutôt que de me satisfaire de rester sur le bas-côté. La génération suivante – Rebecca Zlotowski, Céline Sciamma, Julia Ducournau – a mis la barre haut. Elle ne s’excuse pas d’être là, elle m’impression­ne, elle m’encourage. J’ai enchaîné tant de films que je ressens comme une overdose. Je vais redevenir actrice dans « Dîner en ville », une création de la Comédie de Valence sur un texte de Christine Angot, sous la direction de Richard Brunel *. Au cinéma, je dois savoir tout de suite ce que je vais faire. Au théâtre, on a le droit de chercher.

* « Dîner en ville », du 1er au 3 juin, à la Comédie de Valence.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France