JULIE DELPY
“La misogynie outreAtlantique reste très forte”
QUELS SOUVENIRS GARDEZ-VOUS
DE VOS PREMIERS FILMS COMME ACTRICE ?
À la fois bons et moins bons. À 14 ans, sur « Détective », j’étais fascinée par Godard, même si le tournage était tendu. Sur « la Passion Béatrice », de Bertrand Tavernier, j’avais 17 ans, et j’incarnais une jeune fille violée. Les réalisateurs se montraient charmants, mais je devais me défendre, me protéger. QUEL DÉCLIC A-T-IL FALLU POUR QUE VOUS DEVENIEZ RÉALISATRICE ? J’ai toujours écrit. J’ai travaillé sur six scénarios entre 17 et 27 ans, et aucun ne se montait. Dix années de portes fermées… J’ai mis du temps à monter
« Two Days in Paris », mon premier long-métrage, le plus simple à financer. Je dois toujours me battre... Je discutais récemment avec Céline Sciamma, la réalisatrice de « Tomboy », et tout semble heureusement plus aisé pour la génération suivante. QUELLES DIFFÉRENCES Y A-T-IL ENTRE
LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS ?
Les Français ont évolué, mais la misogynie outreAtlantique reste encore très forte. Les Américains fonctionnent dans le mythe du réalisateur toutpuissant. En France, on ne se dit pas qu’une femme est incapable de prendre des décisions. Aux États-Unis, si, et le fait d’être jolie n’arrange rien à l’affaire. POURQUOI JOUEZ-VOUS DANS VOS FILMS ?
Ils se financent grâce à moi, autrement dit à condition que je les interprète : une sorte de marque de fabrique. Cela dit, j’aime me plier à d’autres univers, comme celui de Todd Solondz dans « le Teckel ». Et j’aime aussi écrire mes propres dialogues. Dans « Before Sunrise » et « Before Sunset », de Richard Linklater, j’ai écrit les dialogues. Être à la fois devant et derrière la caméra, c’est comme jouer du piano à deux mains. Complémentaire et opposé : jouer requiert de la vulnérabilité ; tourner, du contrôle.
SUR UN PLATEAU, VOTRE PART MASCULINE L’EMPORTE-T-ELLE SUR VOTRE PART FÉMININE ?
Avoir le pouvoir en tant que femme et devenir un mec serait ridicule. La créativité n’a pas de genre. Les gens sont très heureux sur mes tournages : je ne traîne pas, je ne me prends pas la tête, je n’enguirlande personne. QUE VOUS INSPIRE L’INÉGALITÉ
SALARIALE HOMMES-FEMMES DANS LE MÉTIER ?
J’évite d’y penser pour ne pas basculer dans la complainte. Sur « Before Sunrise », j’étais payée le dixième d’Ethan Hawke ; sur « Before Sunset », la moitié ; la troisième fois, pour « Before Midnight », j’ai protesté : « Je ne le fais pas si je ne suis pas payée comme lui. » Ethan et Richard ont compris : ce sont des amis. PARDONNE-T-ON L’ÉCHEC À UNE FEMME ?
Aux États-Unis, si une femme réalise un film qui ne marche pas, c’est fini pour elle. Si c’est un succès, ce ne sera pas non plus forcément une autoroute. On comprend qu’elles se tournent vers la télé et les séries.