QUEL SCÉNARIO POUR BRISER LE PLAFOND DE VERRE ?
SI LES RÉALISATRICES CONSTATENT DES SIGNAUX PROMETTEURS, LE CINÉMA LEUR RÉSERVE ENCORE TROP SOUVENT UNE PLACE À PART. EN PROGRÈS, MAIS PEUT MIEUX FAIRE.
CETTE ANNÉE, AU FESTIVAL DE CANNES, des réalisatrices offriront à leur film une vitrine mondiale : en compétition d’abord, où l’Américaine Sofia Coppola, l’Écossaise Lynne Ramsay et la Japonaise Naomi Kawase tiendront la dragée haute à leurs collègues hommes. Dans la section Un Certain Regard ensuite et en Séances spéciales, où Agnès Varda, cosignataire d’un documentaire tourné en camion sur les routes de France avec le photographe JR, côtoiera la débutante Kristen Stewart, venue présenter son premier court-métrage. Au total, douze femmes seront en sélection officielle. Dans les sections parallèles enfin (La Quinzaine des réalisateurs, ouverte par Claire Denis, et la Semaine de la critique), où, si l’on excepte les courts-métrages, s’aligneront respectivement sept et cinq cinéastes féminines.
DES DISPARITÉS QUI RÉSISTENT
Est-ce suffisant ? La question, qui ressurgit avec la régularité d’un métronome, doit être appréhendée avec précaution : d’une part, les réalisatrices, bien conscientes qu’elles évoluent dans une profession majoritairement masculine, n’aiment guère qu’on les définisse par leur sexe. D’autre part, le choix final s’opère forcément en fonction des longs-métrages proposés. « À l’heure où les droits des femmes régressent partout dans le monde, nous restons très vigilantes sur ce débat, explique Fabianny Deschamps, réalisatrice et coprésidente de l’Acid, une association – dirigée par deux femmes – qui programme des films indépendants à Cannes depuis 1993 et dont le retentissement ne cesse de croître. Le Festival est sans doute l’endroit où la ségrégation féminine est souvent marquée en sélection officielle. Mais imposer une parité d’office à propos de films, donc d’objets artistiques, serait absurde. La représentation des réalisatrices sur la Croisette est aussi proportionnelle à leur nombre. »
Une étude de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) réalisée sur cinq ans et intitulée « Où sont les femmes ? » montre en effet que, même si la France reste championne européenne en la matière, 14 % de cinéastes femmes seulement ont sorti un film en salles en 2017. Un rapport du CNC, publié le 24 février dernier, jour d’une Cérémonie des césars qui vit « Divines », parcours d’apprentissage social et politique signé Houda Benyamina, décrocher la statuette du Meilleur Premier Film, en dénombrait 22 % en- tre 2011 et 2015, mais y adjoignait les coréalisations. Bref, si une nouvelle génération de réalisatrices – Maïwenn, Valérie Donzelli, Katell Quillévéré...– a émergé en dix ans, si La Fémis (École supérieure nationale des métiers de l’image et du son) arrive désormais à la parité parmi ses étudiants, le plafond de verre ne craque pas encore.
DE NOUVEAUX HORIZONS...
Mais certains signes sont encourageants. « J’accompagne beaucoup de premiers films et de courts-métrages, analyse Emmanuel Chaumet, d’Ecce Films, et j’observe que de plus en plus de jeunes femmes ont envie de porter un projet à l’écran. » Et ce travail paie. C’est une fille, Alice Diop, qui a remporté le césar 2017 du Premier Court-Métrage, et la part des premiers films réalisés par des femmes est de 42 %, soit 10 % de plus que chez les hommes. « Il faut se battre pour imposer des femmes dans les institutions, les commissions, la distribution, les métiers de l’exploitation. Et pour rester fidèle à ce qu’on est. « Féminisme » est un mot qui ne se démode pas. Le mien est de mettre des femmes à l’image, de travailler des questions féminines dans mes films sans pour autant mettre l’homme au ban », estime Fabianny Deschamps.
Les réalisatrices continuent donc à lutter comme elles l’ont toujours fait, avec un féminisme naturel, contre les stéréotypes. Il faut aussi se débattre avec des salaires horaires moyens inférieurs à ceux des hommes (– 42 %, selon l’étude du CNC) et des budgets riquiqui (3,50 contre 4,70 millions d’euros ). « Nous n’avons pas besoin d’aide, nous avons besoin d’argent », précisait l’actrice Frances McDormand lors de Women in Motion, ces rencontres sur la place des femmes dans le cinéma organisées au Festival de Cannes par Kering (lire p. 102). Il faut résister parfois au paternalisme ou au machisme ambiants, même si toutes les femmes n’y sont pas confrontées. Pourtant, des portes commencent à s’ouvrir. Et notamment à la télévision et sur les plateformes en ligne, où les filles se fraient un chemin pour conquérir d’autres territoires, celui des séries notamment. Pour Canal+, Lucie Borleteau a porté sur ses épaules « Cannabis » et Zabou Breitman tourne actuellement « Paris Etc. ». Quant à Jane Campion, seule femme titulaire d’une Palme d’or à ce jour – pour « la Leçon de piano » –, elle montrera à Cannes la deuxième saison de l’audacieux et féministe « Top of the Lake ». Une première historique dans un Festival où elle fut si souvent pionnière.
Ce voyage c’est aussi un hommage personnel d’Alice Taglioni au cinéma, à des scènes anthologiques, à ces femmes fortes et inspirantes comme Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme (présenté à Cannes en 1957), Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg (Grand Prix du Festival de Cannes de 1964), et Uma Thurman dans Pulp Fiction (Palme d’or du Festival de Cannes de 1994). Toutes ont en commun une beauté spectaculaire que conjugue un charisme fascinant. Pour incarner ces actrices, Alice Taglioni a choisi Dolorès Doll, mannequin de 24 ans déjà immortalisée par l’objectif des plus grands (de Paolo Roversi à Mathieu César). « Sa beauté moderne, singulière et son aisance bluffante à incarner fidèlement les icônes du cinéma à qui j’ai voulu rendre hommage font de Dolorès une jeune comédienne extrêmement prometteuse. Je suis fière, avec DESSANGE, de pouvoir contribuer à révéler les talents du cinéma de demain », déclare Alice Taglioni. « Sur un air de cinéma », produit par Magneto Corp, sous la direction artistique de Serge Khalfon, est disponible sur la chaîne YouTube DessangeSecrets.