Madame Figaro

/Cover story : Marine Vacth, le feu sous la grâce.

SON REGARD INTENSE ET SA BEAUTÉ SANS APPRÊT ILLUMINENT LA PELLICULE. “L’AMANT DOUBLE”, TROUBLANTE ADAPTATION D’UNE NOUVELLE DE JOYCE CAROL OATES, SIGNE SES RETROUVAIL­LES AVEC FRANÇOIS OZON, RÉALISATEU­R DU FILM QUI L’AVAIT RÉVÉLÉE EN 2013, “JEUNE& JOLIE”.

- PAR MARIA GRAZIA MEDA / PHOTOS NICO BUSTOS / RÉALISATIO­N JULIE GILLET

EELLE EST RADIEUSE. SEREINE, SOLAIRE, belle de sa beauté sans artifice. Un jean, un pull, des bottines plates, pas de maquillage, quelques mèches rebelles, trop courtes pour tenir dans l’élastique qui serre sur la nuque ses courts cheveux. Oui, la nouvelle Marine Vacth arbore une coupe garçonne, et tout semble différent en elle. Sauf son regard, qui brille toujours d’une intensité féline, tantôt méfiant, tantôt défiant. On parle souvent de ses silences, de son mystère, sans comprendre que cette jeune femme de 26 ans a fait le choix très simple de garder sa vie privée… privée. Et quand elle accepte de parler, elle le fait avec grâce et une certaine retenue : inutile d’insister, elle ne se dévoilera pas plus que nécessaire. En revanche, sur un plateau, elle se livre entièremen­t au metteur en scène. Elle le suit en totale confiance, et lui, en retour, nous livre une actrice qui crève l’écran. Juste et lumineuse. Nous la rencontron­s à quelques jours de la projection cannoise de « l’Amant double », le nouveau film de François Ozon – celui-là même qui l’avait révélée dans « Jeune & Jolie », en 2013. C’est une histoire étrange et troublante, inspirée d’une nouvelle de Joyce Carol Oates sur le dédoubleme­nt et la gémellité. Marine est Chloé, une femme effacée, en souffrance, qui cherche de l’aide auprès de Paul, un psy joué par Jérémie Renier. Très vite, elle va mieux (ou du moins elle le pense), arrête la thérapie, se met en couple avec Paul. Mais ils ne vont pas vivre le début rêvé du happy ending, puisque chacun semble cacher à l’autre de lourds secrets : le film tourne alors au thriller mental, virevoltan­t dans une spirale de violence étouffée et de sexe fantasmé jusqu’à la révélation finale… que l’on ne dévoilera pas.

« MADAME FIGARO ». – Quelle a été votre première pensée en lisant le scénario ?

MARINE VACTH. – Que j’avais envie de le faire. Oui !

Qu’est-ce qui vous a attirée ?

Retravaill­er avec François ! Je gardais le souvenir d’une expérience très heureuse lors du tournage de « Jeune & Jolie ». J’étais heureuse de le retrouver pour un second film, où il me proposait un rôle de totale compositio­n.

Ozon dit qu’il voulait mettre en scène les fantasmes d’une femme, or il n’y a rien de plus insondable que les désirs et les fantasmes de l’autre…

Oui, c’est vrai, je ne me projetais pas dans les fantasmes de Chloé – ils ne sont pas les miens. Voilà pourquoi je parle d’un véritable rôle de compositio­n : être complèteme­nt éloignée de cette fille tout en ayant pour elle de l’empathie, de la bienveilla­nce… Son histoire n’est pas la mienne, mais je peux m’en sentir proche parce que j’ai envie de l’interpréte­r, tout en gardant des réserves sur ce qu’elle peut faire ou dire. Qu’entendez-vous par « rôle de compositio­n » ? Que je ne joue pas sur une nature, comme c’était le cas dans « Jeune & Jolie ». J’ai essayé de fabriquer un personnage et son histoire avec l’aide de François et de Jérémie. J’ai essayé de travailler des choses - subtilemen­t, j’espère ! - dans sa façon de marcher, de se tenir, de cligner des yeux…

Jusqu’à cette larme qui surgit à des moments précis du film ?

J’ai demandé à François si je ne pleurais pas trop de l’oeil gauche… (Elle rit.) C’était un heureux hasard que François a su capter.

Vous avez vu le film ?

Oui, deux fois : d’abord sans les effets spéciaux, et puis la version finale.

Et… ?

Et je connais toute l’histoire et son dénouement, donc je le regarde d’une façon différente de celle d’un spectateur qui le découvre. Je suis épatée par la mise en scène de François, par sa façon d’installer au début un jeu de psy, la dualité…

Avez-vous regardé « Faux-semblants », de David Cronenberg, avant de tourner ?

Non, justement, je savais que les thématique­s étaient proches, et je ne voulais pas être influencée par des inspiratio­ns autres.

La première scène du film est d’une violence sourde : ces ciseaux qui coupent sans répit vos longs cheveux !

Au départ, on pensait que le personnage devait être blond platine, puis, Jérémie se joignant au projet avec ses cheveux clairs, ça n’avait plus beaucoup de sens. Ainsi, avec François, on s’est dit

que ce serait pas mal qu’elle soit un peu garçonne, pas apprêtée, plutôt banale, sans trop d’« artifices de la féminité », ces éléments qui racontent beaucoup et qui auraient pu fausser la lecture du personnage. Et nous avons pensé : pourquoi pas les cheveux très courts ? C’est quand même un geste très fort ! Je n’ai jamais eu les cheveux courts. De surcroît, ce n’était pas comme aller chez le coiffeur, où l’on est assis, relaxé, où l’on surveille la progressio­n devant un miroir… Là, je ne voyais rien ! C’était très particulie­r, mais ça allait avec l’histoire que nous voulions raconter.

Et comment aimez-vous cette nouvelle tête ? Elle vous manque, votre longue chevelure ?

Ça m’a fait du bien de me couper les cheveux… C’est comme si je rompais avec l’idée classique, évidente, de la beauté. Pour moi, les cheveux courts transmette­nt un message direct, immédiat. Vous allez les faire repousser ? Ah oui ! (Elle rit.) Là, c’est un peu dur… À propos de féminité, vous donnez toujours l’impression de vouloir cacher votre côté plus féminin, de ne pas vouloir souligner les signes extérieurs de féminité…

Pas tout à fait faux… D’une certaine façon, dès l’enfance, la féminité se construit dans le regard bienveilla­nt des autres. Encore aujourd’hui, c’est rare de me voir avec ne serait-ce que du rouge à lèvres, parce que j’ai l’impression d’être une autre… Et pourtant la féminité me parle, j’aime les femmes, leur beauté…

Au début de votre carrière, vous disiez ne porter que des pantalons et des talons plats, et que dans votre dressing il n’y avait pas de robes. Et aujourd’hui ?

Rien n’a changé ! Toujours pas de robes, juste plus de bottines !

Dans le film, il y a quelques scènes assez explicites. Difficile de les tourner ?

En partageant les scènes de nudité et de sexe avec Jérémie, c’était plus simple : on était au même niveau, au même endroit dans la même situation. Les équipes étaient réduites, c’était tourné de façon légère, donc même s’il y a eu des moments de gêne, tout se passait facilement et ça se transforma­it en rires – on a beaucoup ri !

Sans entrer dans les détails d’une des séquences du film, peut-on citer Freud et dire que toute femme rêve d’avoir un pénis ?

C’est un symbole de puissance depuis toujours, donc oui, j’imagine que beaucoup de femmes peuvent en faire leur fantasme.

Si ce même scénario vous avait été proposé par quelqu’un que vous ne connaissie­z pas, l’auriez-vous tourné ? Je ne sais pas…

Au fond, votre carrière, c’est toujours la rencontre avec le metteur en scène et la confiance envers lui…

Même si le scénario qu’on me propose a beaucoup d’importance, la rencontre avec le metteur en scène est primordial­e. Si je suis en confiance, je crois que je pourrais tout faire.

Après deux ans d’absence, vous revenez cette année avec trois films *. Que s’est-il passé ?

On m’a proposé des choses qui m’ont plu ! (Elle rit.) Sérieuseme­nt, je n’ai pas un rythme prédéfini, ni pensé. Je laisse les choses venir…

Quand même, vous êtes une actrice rare sur les plateaux : après

« Jeune & Jolie », tout le monde s’attendait à vous voir enchaîner les rôles, et vous, vous avez mis au monde un bébé et n’avez pas tourné pendant longtemps. On sent que vous aimez prendre du temps, que vous avez besoin…

… de sentir les choses.

Et là, vous nous faites le cadeau de trois films. Maintenant, on va attendre six ans avant de vous revoir ?

Non ! À moins que je ne fasse un autre enfant ! (Elle rit.)

Vous n’êtes pas sur les réseaux sociaux…

Non, toujours pas !

Donc pas d’Instagram avec votre fils, Henri ! Justement, n’est-ce pas trop dur de ne pas céder à la pression d’être visible sur les réseaux ?

À vrai dire, non, je suis comme ça.

C’est un choix que je vis très bien.

La promotion d’un film est un sport de combat ! Votre passé de judoka vous aide-t-il à faire face à la machine médiatique ?

C’est une analyse applicable à la vie tout court. Pour les médias, je suis loin d’être ceinture noire !

Si vous rencontrie­z votre double, vous plairait-il ? Deviendrie­z-vous amis ?

Je ne sais pas ! Il faudrait que je le connaisse mieux…

Dès l’enfance, la féminité se construit dans le regard bienveilla­nt des autres

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