Madame Figaro

/Reportage : la Maison Rose à Dakar.

AU NORD DE LA CAPITALE SÉNÉGALAIS­E, LA MAISON ROSE ACCUEILLE DES FEMMES EN DIFFICULTÉ ET LEUR PERMET DE SE RECONSTRUI­RE. GRÂCE, NOTAMMENT, À SON ATELIER DE BRODERIE QUI COLLABORE AVEC DES LABELS DE MODE ÉTHIQUES, ELLES PEUVENT ENVISAGER L’AVENIR.

- PAR MARIE-SOPHIE N’DIAYE / PHOTOS CLÉMENT TARDIF

DANS LE QUARTIER DE MÉDINA GOUNASS, AU COEUR DE GUÉDIAWAYE, une banlieue défavorisé­e de Dakar, au Sénégal, une maison détonne. D’un rose Malabar éclatant et lumineux, appliqué du sol au plafond, ce lieu convivial porte bien son nom de Maison Rose, tant il se distingue des immeubles délabrés aux alentours. Au rez-de-chaussée, plusieurs femmes s’activent dans une petite manufactur­e de couture. Penchées sur leurs ouvrages, les ouvrières vêtues de robes en wax multicolor­es embellisse­nt de leurs délicates broderies faites main des sacs, des coussins ou des vestes désirables. Leurs clients ? Des marques, françaises pour la plupart, désireuses de promouvoir une mode éthique et qui s’engagent pour améliorer les conditions de vie de Sénégalais­es démunies. Car La Maison Rose accueille depuis 2008 des femmes en situation de grande précarité sociale et de souffrance psychologi­que (victimes de viol, d’inceste, de maltraitan­ce, de prostituti­on…), pour les aider à se reconstrui­re et leur offrir l’opportunit­é de rebondir.

Ce lieu insolite, fondé par une Française, Mona Chasserio, en collaborat­ion avec l’associatio­n humanitair­e Unies vers’elle Sénégal, est un cocon protecteur où vivent en communauté près de vingt-cinq femmes, avec, pour certaines, leurs enfants. L’atelier de broderie accueille, lui, plus d’une vingtaine de résidentes de La Maison Rose et des habitantes du quartier. On y travaille dans une atmosphère enjouée. Pas de silence monacal, les femmes chantonnen­t, bavardent, rient. L’une d’elles se lève pour embrasser ses enfants qui jouent dans le patio sous la surveillan­ce de Mona et de résidentes qui font leur lessive ou la cuisine. L’entraide est de mise. Toutes retrouvent ici un sens à leur vie. Séduits par cette structure unique, deux labels français de mode et d’accessoire­s pointus se sont engagés dans cette aventure humaine : la CSAO, Compagnie du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest(1), gérée par Ondine Saglio, et Côme Éditions (2), créé par Clémence et Matthieu Dru. « Notre but est d’aider ces femmes en difficulté en leur donnant un emploi stable et un bon salaire, commente Ondine Saglio. Elles sont formées, elles s’éclatent et sont très fières de leurs créations. Ce sont mes héroïnes ! »

L’HISTOIRE D’AMOUR ENTRE CETTE JEUNE FRANÇAISE et le Sénégal s’est tissée dès l’enfance. Petite déjà, Ondine Saglio séjournait dans ce pays d’Afrique de l’Ouest pendant les vacances scolaires. Ses parents y vivent désormais une partie de l’année, et c’est sa mère, Valérie Schlumberg­er, qui a fondé la CSAO. « Nous sommes un peu sénégalais de coeur, sourit-elle. La place des femmes en Afrique est un sujet qui me préoccupe beaucoup, j’avais donc envie de faire quelque chose pour elles. »

Régulièrem­ent, Ondine Saglio fait le voyage à Dakar. Ce matin, justement, elle arrive à l’atelier avec une multitude de commandes de coussins et de cabas personnali­sés. Certains sont en Liberty, d’autres en wax… Tous arborent un message brodé : « Sénégal mon amour », « Paix », « Amour », « Bonheur, « Africa », « Ma chérie », « Il faut croire en ses rêves ». C’est Adama, la responsabl­e de la manufactur­e, qui dessine les motifs au crayon sur le tissu et L reproduit le mot dans une calligraph­ie conçue par Ondine. La pièce est ensuite confiée à une petite main agile de l’atelier qui brode avec dextérité le message de plusieurs fils de couleur, d’or ou d’argent.

LE PARCOURS DE CHAQUE BRODEUSE EST SINGULIER, douloureux, souvent traumatisa­nt. Mariama, 26 ans, pose une main protectric­e sur son ventre arrondi et raconte d’une voix douce son histoire. « J’ai été violée par un de mes proches ; ici, c’est devenu ma famille. Je travaille pour oublier mes soucis et subvenir à mes besoins. » Depuis quatre mois, La Maison Rose est son refuge. « Je suis rémunérée au nombre de pièces réalisées, donc plus je travaille, plus je gagne d’argent. Je trouve le système très juste. Plus tard, j’aimerais participer au développem­ent de l’associatio­n, afin qu’il y ait davantage de maisons pour accueillir des femmes comme moi, avec leurs enfants. » Fatou, elle, a 22 ans. Maltraitée par son mari, elle a fui le domicile conjugal. C’est par des cours de danse et de yoga, mais surtout en travaillan­t comme brodeuse, qu’elle retrouve l’estime d’elle-même, conquiert sa liberté. « Mes blessures sont profondes, mais ici j’apprends à les soigner. Quand je quitterai La Maison Rose, je continuera­i à travailler à l’atelier afin de rester indépendan­te financière­ment. »

LE PARCOURS ET LA DÉTERMINAT­ION DE CES FEMMES ONT TOUCHÉ CLÉMENCE DRU ET SON FRÈRE, MATTHIEU, deux vingtenair­es, créateurs du label mode Côme Éditions. Amoureux du Sénégal depuis l’enfance eux aussi, ils ont découvert La Maison Rose grâce à leurs parents, très impliqués dans cette structure. « Un jour où j’y accompagna­is ma mère, j’ai demandé aux femmes de l’atelier de broder la veste de ma collection que je portais. Le résultat nous a tout de suite séduits. Nous avons décidé d’intégrer des vestes brodées personnali­sables à nos créations. » Succès immédiat. En deux jours, cent pièces ont été vendues sur le site de Côme Éditions. « La rencontre avec La Maison Rose est arrivée au bon moment, constate Clémence Dru.

Avec mon frère, nous avions envie de faire de notre label plus qu’une simple marque de prêt-à-porter, en nous inscrivant dans une démarche solidaire pour donner du sens à notre métier. » Cette volonté de s’engager leur a été transmise Cpar leurs parents ; leur père est d’ailleurs président d’Unicef France. « Il était naturel pour nous de suivre le même chemin. Notre plus grande satisfacti­on est de savoir que ces travaux de broderie permettent à des femmes de s’en sortir seules. »

C’EST LE CAS D’AWA, 20 ANS. Elle habite à quelques rues d’ici, et son mari est gravement malade. Cet atelier de broderie représente pour elle « un cadeau tombé du ciel ». « Ce travail me permet de toucher un salaire pour payer mon loyer, élever mes enfants, offrir une vie décente à ma famille, et, surtout, de ne pas vivre aux crochets des autres, car j’ai ma dignité ! Mon fils a 2 ans, ma fille 3 ans. Pendant que je travaille, il y a toujours quelqu’un qui veille sur eux ici. » Sofiatou, elle, est arrivée à La Maison Rose à seulement 18 ans, après avoir grandi dans

un centre pour adolescent­s. Elle est aujourd’hui maman d’un petit Ousmane, né il y a deux ans et demi. « Quand j’ai posé mes bagages à La Maison Rose, j’étais désespérée. À l’atelier, j’ai appris à avoir confiance en moi, je sais que je possède des qualités. Et en parallèle, je suis une formation pour travailler dans un cirque, mon rêve ultime ! »

L’INDUSTRIE DE LA MODE A LE POUVOIR D’ÊTRE UN LEVIER DE DÉVELOPPEM­ENT dès lors qu’elle s’engage. Le cercle vertueux qu’elle génère ? Créer de beaux produits, transmettr­e un savoir-faire, mais aussi encourager l’empowermen­t des femmes. Un combat qui a également une portée symbolique. « Mixer les mots “Bonheur”, “Liberté” ou “Paix” au wax, c’est ma façon de dire non au racisme », explique Ondine Saglio. Les slogans brodés sur les vestes de Clémence et Matthieu Dru sont, eux aussi, choisis avec attention : « Nous voulons des messages positifs. Forcément, le mot “Amour” écrit en larges lettres sur une veste ne laisse pas indifféren­t, cela crée une interactio­n avec les gens qui reçoivent ce message », décrit Clémence. Cette démarche éthique séduit de plus en plus. Les six cents coussins et cabas de la CSAO brodés chaque mois par l’atelier de La Maison Rose sont désormais vendus dans les plus beaux magasins du monde. Et les vestes brodées de Côme Éditions sont devenues le coup de coeur de plusieurs ambassadri­ces de renom, dont les actrices Emma Watson et Léa Seydoux. (1) www.csao.fr ; (2) www.come-editions.fr

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À La Maison Rose, ce lieu unique fondé par Mona Chasserio (à droite) avec Unies vers’elle Sénégal, sont créés de beaux produits par des femmes en pleine reconstruc­tion.
Et le succès est au rendez-vous.
CERCLE VERTUEUX À La Maison Rose, ce lieu unique fondé par Mona Chasserio (à droite) avec Unies vers’elle Sénégal, sont créés de beaux produits par des femmes en pleine reconstruc­tion. Et le succès est au rendez-vous.
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 ??  ?? ENSEMBLE, les brodeuses de La Maison Rose, qui entourent Ondine Saglio et Clémence Dru, retrouvent leur indépendan­ce.
ENSEMBLE, les brodeuses de La Maison Rose, qui entourent Ondine Saglio et Clémence Dru, retrouvent leur indépendan­ce.
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 ??  ?? LABELS ÉTHIQUES Clémence Dru, à gauche, a créé Côme Éditions. Ondine Saglio, à droite, gère la CSAO.
LABELS ÉTHIQUES Clémence Dru, à gauche, a créé Côme Éditions. Ondine Saglio, à droite, gère la CSAO.

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