Madame Figaro

: les femmes ont-elles le pouvoir de sauver la politique ?

LES ÉLECTIONS LÉGISLATIV­ES DES 11 ET 18 JUIN FERONT PEUT-ÊTRE MENTIR DES DÉCENNIES DE PRATIQUES MISOGYNES. SI L’ASSEMBLÉE NATIONALE DEVENAIT PARITAIRE, CE SERAIT, EN FRANCE, UNE PREMIÈRE. COURAGEUSE­S, DÉTERMINÉE­S, PRAGMATIQU­ES, LES FEMMES ONT UN RAPPORT A

- PAR ISABELLE GIRARD

SI L’ON DOUTAIT ENCORE DE LA CAPACITÉ DES FEMMES À SAUVER LA POLITIQUE, le spectacle que la campagne des primaires et celle de la présidenti­elle viennent de nous donner offre matière à réfléchir. Qu’a-t-on vu ? Un candidat asphyxié par ce qui est devenu le « Penelopega­te », un autre obligé de démentir publiqueme­nt une double vie (1), une presse people aux aguets promettant régulièrem­ent des photos chocs, et, très vite, une classe politique perdue, oubliant tout simplement de parler programmes et réformes. « Ce fut un combat de coqs, admet l’écrivain et productric­e Laure Adler. J’ai trouvé cette campagne très régressive au regard du statut des femmes. Emmanuel Macron était essentiell­ement entouré de jeunes ins- pecteurs des finances super technos et super brillants. Mais où étaient les filles ? » Même remarque de la part de Corinne Lepage, avocate et ex-ministre de l’Environnem­ent (1995-1997). « Quand j’ai rejoint le mouvement En Marche ! au mois de décembre dernier, j’ai dit à Emmanuel Macron : “Tu parles de parité, mais où sont les femmes ? Je n’en vois aucune autour de toi”. »

« Leur présence aurait-elle changé les choses ? » nuance la présidente d’Image Sept, Anne Méaux, qui pratique le monde politique depuis plus de trente ans. « Je n’en suis pas certaine. Une fois entrées dans le jeu, elles pratiquent souvent les règles imposées par les hommes. J’en ai connu de très brillantes qui savaient aussi mentir et trahir ! » Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof, fait état du même scepticism­e : « Je ne vois pas pourquoi les femmes plus que les hommes sauveraien­t la politique. Dans ce cas,

pourquoi ne pas avoir élu Marine Le Pen ? Elle cochait les cases “femme”, “mère de famille” et “profession­nelle de la politique”. Le fait d’être une femme ne garantit nullement de porter un projet politique cohérent. Il ne faut pas faire de déterminis­me biologique et penser que les femmes vont automatiqu­ement réenchante­r le monde. » « De toutes les façons, conclut Nathalie Loiseau, directrice de l’ENA, comment le savoir, puisque nous n’avons encore jamais essayé ? »

LE GUIDE DE LA PARITÉ, publié en 2016 par le Haut Conseil à l’égalité sur le partage des responsabi­lités entre hommes et femmes, l’atteste. Si la politique a un sexe, il est encore très masculin. Sur 191 pays classés en fonction du nombre de femmes présentes dans les Assemblées, la France occupe la 162e place, loin derrière le Rwanda, la Bolivie et Cuba ! Combien de femmes parmi les sept candidats aux primaires de la droite et de la gauche ? Une dans chaque camp. Nathalie Kosciusko-Morizet à droite. Sylvia Pinel à gauche. Pour les législativ­es, seuls les partis La République en marche ! et La France insoumise ont réussi à parvenir à la parité. Les autres sont à la peine. Échec des partis ou volonté des femmes de ne pas s’engager ? « Certaines n’ont simplement pas envie de se confronter à la violence inouïe de ce monde. D’autres se disent qu’il y a d’autres moyens de servir la cause publique, et qu’il n’est pas nécessaire de passer par un siège à l’Assem- blée nationale ou par un poste dans un ministère pour s’accomplir. On m’a beaucoup sollicitée. J’ai toujours refusé, préférant mon indépendan­ce au sein de l’entreprise que j’ai créée il y a trente ans », conclut Anne Méaux. Marlène Schiappa, nouvelle secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, renchérit : « J’en ai sollicité beaucoup pour s’inscrire sur les listes d’En Marche ! et beaucoup ont décliné. Elles ne voulaient pas risquer de livrer leur vie personnell­e en pâture et de mettre leur vie familiale en danger. » Néanmoins, à peine devenu président, Emmanuel Macron a respecté ses engagement­s. La parité au gouverneme­nt – onze femmes et onze hommes – et la parité dans son parti La République en marche ! pour les législativ­es. Démagogie ou nécessité ? « Nécessité, affirme Nathalie Loiseau. L’absence de femmes fait partie des défauts de notre politique. Cela signifie que

nous avons accepté de nous priver de leur approche, de leur regard, de leur humanisme. » Leur approche, d’abord. Elle est terre à terre. « Moi, je sais comment Françoise Nyssen, la nouvelle ministre de la Culture, va procéder, explique Laure Adler. Pas en faisant des promesses à tout-va et de beaux discours, mais en bonne maîtresse de maison qui sait tenir un foyer et les cordons de la bourse. » Les femmes savent résister au système. « Gouverner, c’est agir et interagir en partant du réel », écrit Najat Vallaud-Belkacem dans son livre « La vie a plus d’imaginatio­n que toi » (éditions Grasset).

AAUJOURD’HUI PRÉSIDENTE du conseil de surveillan­ce de l’aéroport Toulouse-Blagnac, possédé à 49,9 % par des investisse­urs chinois, Anne-Marie Idrac reconnaît qu’il faut, en pareille situation, faire preuve de sang-froid et d’humilité pour que les différents partenaire­s cohabitent. « Je n’en manque pas, avoue l’ancienne présidente de la RATP et de la SNCF (elle a aussi été secrétaire d’État aux Transports, de 1995 à 1997, et au Commerce extérieur, de 2008 à 2010). J’ai toujours fait mes courses. Même quand j’étais ministre. On prend conscience de tas de choses. Que ceux qui travaillen­t tard le soir dans les petites supérettes de proximité ont encore deux heures de transport pour rentrer chez eux, et que l’on pourrait, peut- être, se décider à construire des logements sociaux en centre-ville pour les loger. Je ne dis pas qu’un homme politique ne peut pas avoir la même idée. Mais est-ce que vous avez vu beaucoup de ministres masculins acheter du beurre à 22 heures dans une supérette ? »

LEUR REGARD, ENSUITE. Il est empreint de curiosité. « Comme elles sont minoritair­es, elles ont une curiosité que les hommes n’ont plus car ils sont en terrain conquis », explique Nathalie Loiseau. Les femmes en politique, c’est un peu comme le Zadig de Voltaire. Tout les étonne, les intrigue, les questionne. « À l’inverse, une fois au pouvoir, on dirait que les hommes ne sont plus dans la réflexion et peinent à identifier les causes des maux de notre société », déplore Axelle Tessandier, entreprene­use du numérique engagée dans la campagne d’En Marche !. « Ils ne côtoient pas les problèmes, tempête Laure Adler, ils sont dans leur monde ! Ils devraient prendre exemple sur les politicien­s des pays du Nord qui vivent

comme tout un chacun, vont chercher leurs enfants à l’école, vont au boulot à vélo. Chez eux, pas de pompe républicai­ne. Chacun devrait se souvenir que Golda Meir recevait ses ministres dans sa cuisine et leur servait le café. » C’EST QUE LES HOMMES POLITIQUES Cont du mal à descendre de leur Olympe. « Ils aiment la mystique du service de l’État. Les femmes préfèrent sa normalité », explique Najat Vallaud-Belkacem. « Le pouvoir les érotise. Ils pensent que le quotidien est banal, ajoute Laure Adler, mais le quotidien, c’est la vie. Les femmes le savent. »

« Une fois le président élu, les cabinets se forment à la vitesse de la lumière, poursuit Corinne Lepage, et le personnel politique entre alors dans le tunnel pour ne plus en ressortir », ironise-t-elle. Ils sont dans l’action et la communicat­ion. Il suffit de les voir tous monter les marches de l’Élysée quatre à quatre. Un homme politique doit montrer son appétit du pouvoir. Imaginez une femme ainsi. Que n’entendrion­s-nous pas ? Quelle bêcheuse ! Quelle carriérist­e ! »

ENFIN, DANS UNE ÉPOQUE DE PERTE DE REPÈRES, de mondialisa­tion, de montée des extrêmes, l’empathie que les femmes montrent peut apaiser. « Nous avons sous nos yeux un exemple flagrant, rappelle Laure Adler, celui d’Angela Merkel qui apparaît comme une figure protectric­e du destin de l’Allemagne et de l’Europe. Il faut écouter son discours au nom de l’humanisme et de l’hospitalit­é le 28 juillet 2016, après deux attentats perpétrés par des réfugiés que l’Allemagne avait accueillis. « Les djihadiste­s veulent remettre en cause notre dispositio­n à accueillir des gens en détresse. Nous nous y opposons fermement », avait alors déclaré la chancelièr­e. Les femmes ne cherchent pas à créer du rêve. Elles font. Il existe donc bien un pouvoir au féminin, au sens où Élisabeth Badinter l’entend dans son dernier livre (2). Un pouvoir qui permet de concilier une vie de femme et une vie de femme politique, un pouvoir qui profite de la capacité d’adaptation et d’inventivit­é dont les femmes sont très souvent pourvues. Un pouvoir « qui englobe une sensibilit­é humaniste », suggère la psychanaly­ste Sylviane Giampino. Bref, un pouvoir de synthèse. « La force des femmes est peut-être de savoir relier les univers », conclut Anne Méaux.

(1) Emmanuel Macron au théâtre Bobino, à Paris, le 7 février 2017. (2) « Le Pouvoir au féminin », éditions Flammarion.

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… Puis, au fil de rebondisse­ments spectacula­ires, elle s’émancipe et décide d’entrer ellemême en politique. Une carrière à suivre dans la toute nouvelle saison 5, sur Netflix.
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Dans la série “House of Cards”, Claire Underwood (interprété­e par Robin Wright), femme de l’ombre et stratège hors pair, accompagne d’abord son mari, Francis (joué par Kevin Spacey), dans sa conquête de la Maison-Blanche…

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