Madame Figaro

: Hubert de Givenchy, le géant de la mode.

IL A INVENTÉ UN STYLE PLEIN D’AUDACE ET DE GRÂCE. À 90 ANS, HUBERT DE GIVENCHY CONTINUE À FAIRE RAYONNER LA COUTURE FRANÇAISE À TRAVERS DES EXPOSITION­S. INTERVIEW SUR MESURE.

- PAR VALERY DE BUCHET

LLA PORTE COCHÈRE DE SON HÔTEL PARTICULIE­R PARISIEN DONNE LE TON : grand style et démesure XVII e. La gentilless­e du gardien confirme que l’on pénètre dans un îlot où le savoir-vivre résiste. Il faut traverser une cour pavée, pénétrer dans le hall, entrer dans l’appartemen­t du propr iétaire au rez-de-chaussée. Le terme « hauteur de plafond » ne veut plus rien dire – le plafond s’est enfui, ailleurs. L’espace est vaste, apprêté avec élégance. Au loin, le jardin décline ses verts dans la lumière du matin. Derrière son bureau, Hubert de Givenchy, 90 printemps, déploie ses 2,05 m. Même s’il s’appuie sur une canne, sa silhouette semble immuable. Ce grand monsieur a quitté sa maison de couture il y a vingt-deux ans. Après lui, une déferlante britanniqu­e a oeuvré à la création Givenchy - John Galliano, Alexander McQueen, Julien Macdonald, Ozwald Boateng. Même empreinte aujourd’hui, après douze années de règne de l’Italien Riccardo Tisci, avec l’avènement de Clare Waight Keller, première femme à ce poste. Vingt-deux ans, c’est le temps d’une génération. Autant dire une éternité vue depuis notre époque agitée. La sienne aussi filait vite. En 1952, le jeune aristo de Beauvais – famille ruinée par la guerre – lance sa maison de couture ; il la vend en 1988 à LVMH et la quitte sept ans plus tard. Entre ces folles années, il y a eu un maître espagnol – Balenciaga –, une muse en ballerines – Audrey Hepburn –, des clientes high-society – Mrs. Mellon, la duchesse de Windsor, les Kennedy… –, bref, une vie grand style qui signa avec faste l’époque glorieuse. Et inséra les socles modernes du genre – grâce hollywoodi­enne, penchant arty et déclinaiso­n de la marque (parfums, bijoux, design). On allait oublier la French touch, ce savoir-faire mystérieux que l’on nous envie. Logique, donc, de retrouver ces inspiratio­ns sur d’autres podiums ; et que les musées courtisent le couturier retiré. Une exposition dédiée à Audrey Hepburn (« To Audrey with love ») vient de s’achever à La Haye. Une autre sur leur « élégante amitié » vient de commencer en Suisse *. Et en France, la Cité de la dentelle, à Calais, rend hommage au créateur **. « MADAME FIGARO ». – Pourquoi ces exposition­s ? HUBERT DE GIVENCHY. – Tout a commencé avec l’exposition à Madrid (NDLR : « Hubert de Givenchy », au musée Thyssen-Bornemisza, en 2014). Puis avec celle sur Balenciaga (NDLR : « Magicien de la dentelle ») à la Cité de la dentelle et de la mode, à Calais, l’an dernier. Ensuite, ce même musée m’a proposé de reprendre dans ses salles celle de Madrid. Pour moi, une exposition doit être la perfection, on doit retrouver le raffinemen­t jusque dans les détails. Alors, parfois, je suis un peu embêtant. Mais, depuis toujours, l’harmonie guide mon travail. Une exposition doit donner de la joie. Je suis toujours très surpris quand on me sollicite, vous savez : un moment on vous connaît, un moment on vous oublie...

Vous venez de vendre une partie de vos Giacometti, vous attendiez-vous à un tel succès (32,7 millions d’euros) ?

Pas du tout ! C’est incroyable. Bien sûr, ces oeuvres racontent aussi mon amitié avec Diego Giacometti, mais quand même… C’est l’achat du rezde-chaussée, ici, qui a déclenché ma première vente. Jusque-là, je vivais au premier étage, entouré de meubles d’esprit XVIIe. Là, près du jardin, le mobilier devait être simplissim­e, avec de l’esprit et de la force. Au fil des années, mon goût a évolué avec ceux que j’ai côtoyés et qui m’ont appris.

Quel regard portez-vous sur la mode aujourd’hui ?

Il me semble qu’elle ressemble à notre époque, que je ne trouve guère brillante. Il faut dire qu’il n’y a plus la demande, plus de grandes soirées ni de grands bals. La haute couture subsiste avec Karl Lagerfeld, qui fait toujours les choses avec faste. Mais on a changé d’époque. Il faut proposer un très bon prêt-à-porter, comme Saint Laurent ; facile à porter, accessoiri­sable – le chic Loulou de la Falaise. Aujourd’hui, la mode fait surtout des coups d’éclat.

Je ne veux pas être que critique ; regardez Armani : il a construit un empire gigantesqu­e sans mauvais goût. Ses vêtements sont faciles, chics et correspond­ent à la femme d’aujourd’hui. C’est un remarquabl­e créateur qui, dans le fond, a senti son époque mieux que les autres.

Une exposition doit donner d e la joie

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