JAY McINERNEY
Couple, lien et nostalgie
Dans ce troisième tome qui leur est consacré, un quart de siècle après leurs débuts dans « Trente Ans et des poussières », les New-Yorkais Russell et Corrine Calloway ont la cinquantaine et deux enfants.
Ils vivent dans un vieux loft à Tribeca et passent leurs vacances dans les Hamptons. Il adore son métier d’éditeur, elle travaille pour un centre d’aide aux plus démunis. Mais derrière les apparences, ça grince. Leur vie sexuelle est en berne, Russell publie un témoignage qui se révèle mensonger, Corrine retrouve Luke, son amant de « la Belle Vie », sur fond de 11 Septembre, et ne sait plus où elle en est, sa fille aînée développe une agressivité flippante à son égard, ils ont tardé à devenir propriétaires et ne savent plus comment se loger à Manhattan… La splendeur de leur jeunesse durant les années 1980, festives et créatives (graffitis et punk rock), s’est évanouie, hachée menu par le temps qui passe, mais aussi par le sida, le terrorisme, l’argent roi…
Avec une ampleur balzacienne et une passion anthropologique pour New York, McInerney livre une fresque douce-amère sur la nostalgie et le souvenir (notamment celui de Jeff, l’ami disparu qui fut comme une comète scintillante dans leur existence), la perte des idéaux, le durcissement des temps. Russell et Corrine font partie des WASP sympas, qui préfèrent la team de l’Amour et de l’Art à la team du Pouvoir et du Pognon, mais, justement, ils sont devenus inadaptés à leur époque, eux qui étaient comme des poissons dans l’eau vingt ans plus tôt. Peu à peu, vernissages, cocktails, dîners raffinés et conversations pimentées laissent la place aux coups du sort et aux angoisses du lendemain. McInerney décrit avec brio le déclassement à l’oeuvre au sein d’une bourgeoisie intello plutôt gâtée jusque-là. Mais rien n’est perdu tant qu’il reste l’amitié, l’imagination, l’humour.
Les trois piliers de la sagesse. I. P.