Madame Figaro

Rencontre : Mélissa Theuriau et Sarah Ourahmoune.

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UNE CHALEUR ÉCRASANTE règne cet après-midi là sur Boulogne-Billancour­t. Amarré sur les bords de Seine, le navire Canal+ résiste, à coups de clim intempesti­fs. Au sixième étage, installée dans une loge, Mélissa Theuriau renoue avec une vieille habitude : celle de se faire coiffer et maquiller face à un miroir de star. Pas question pour la jeune femme de reprendre l’antenne. Elle est ici pour se prêter au jeu du shooting et d’une interview croisée avec son héroïne du moment : la vicechampi­onne olympique de boxe Sarah Ourahmoune. Mélissa et sa société de production 416 Prod lui consacrent un documentai­re réalisé par Cédric Balaguier, diffusé sur Canal+ le dimanche 18 juin *.

« Sarah me fascine ! » s’exclame Mélissa entre deux coups de pinceau. « Son parcours de vie me sidère et force le respect. » Dix fois championne de France, Sarah décroche, en 2008, le titre de championne du monde. En 2012, les JO de Londres lui échappent. Elle décide d’arrêter la compétitio­n et devient maman d’une petite Ayna. Puis en 2014, l’appel du ring est plus fort. Après deux années de coupure, elle retrouve les gants et reprend le chemin implacable de l’entraîneme­nt. Son objectif ? Participer aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Elle n’a que deux ans pour s’entraîner. À force de combats, la jeune femme de 32 ans gagne son ticket pour les Olympiades, devient la première boxeuse française à représente­r le pays dans cette disci-

FACE À FACE, LA CHAMPIONNE DE BOXE ET LA JOURNALIST­E ENGAGÉE. DEUX FEMMES POUR QUI LA PRISE DE RISQUE S’IMPOSE COMME UNE ÉVIDENCE. AVANT LA DIFFUSION SUR CANAL+ D’UN DOCUMENTAI­RE SUR SARAH OURAHMOUNE PRODUIT PAR MÉLISSA THEURIAU, CONVERSATI­ON ANIMÉE PAR LE DÉPASSEMEN­T DE SOI ET LE GOÛT DES AUTRES.

pline et décroche la médaille d’argent (catégorie des moins de 51 kg). Respect. « Tant de sacrifices... commente Mélissa. Quand elle reprend les entraîneme­nts, il s’est écoulé deux ans. C’est long, deux ans, dans la vie d’une athlète. Tu repars de zéro. Tu as perdu tes acquis. Tant de déterminat­ion dans un si petit corps, c’est étonnant. » Justement, le poids mouche arrive, elle essoufflée et talonnée de près par son attachée de presse. « Désolée pour le retard, Mélissa, j’étais à Roland-Garros pour un déjeuner d’affaires. » Ah oui, parce qu’en plus d’être une championne-née Sarah est aussi (on inspire très fort) diplômée de science politique, entreprene­use, coach en entreprise, conférenci­ère et ambassadri­ce pour les JO de Paris 2024. (On peut enfin

expirer.) La maquilleus­e se penche sur elle pour un état des lieux beauté : « Je suis déjà prête, lui lance une Sarah décidée. J’ai enregistré une émission pour Téva ce matin. On commence quand vous voulez. » Le ton de l’entretien est donné.

« MADAME FIGARO ». – Mélissa Theuriau, après avoir produit des films sur la vie de réfugiés en France, les mères incarcérée­s ou les vertus des cours d’improvisat­ion dans les écoles de quartiers difficiles, pourquoi un documentai­re consacré à Sarah Ourahmoune ?

MÉLISSA THEURIAU. – Je suis son parcours depuis très longtemps. En 2008, lorsque je présentais

« Zone interdite », nous avons diffusé un documentai­re signé Cédric Balaguier qui lui était en partie consacré. En visionnant ce doc, intitulé « Rage de vaincre », j’avais pris une claque. La manière dont Sarah menait sa vie de championne, s’impliquait auprès des jeunes de quartier d’Aubervilli­ers me fascinait. La relation avec son entraîneur Saïd me touchait beaucoup. Je sentais déjà le parcours atypique…

SARAH OURAHMOUNE. – Je me souviens de ce documentai­re. J’étais tellement heureuse que la boxe féminine trouve enfin sa place en prime time à la télévision.

M. T. – Et ce n’était pas gagné ! À l’époque, en 2008, la boxe féminine n’en était qu’à ses balbutieme­nts. J’ai dû me battre pour imposer cette diffusion. C’était un choix audacieux. Bien des années plus tard, en 2016, Sarah m’annonce qu’elle part à Rio pour les JO et me glisse : « Tu sais, depuis 2008, Cédric n’a jamais cessé de tourner avec moi.

Et il m’accompagne à Rio ! » J’étais scotchée et super excitée de ce que ces dix années pouvaient donner. On a regardé les images... etle doc est né !

Certaines images d’archives remontent à vos débuts, Sarah. Quand vous poussez pour la première fois les portes du Boxing Beats, salle de boxe mythique d’Aubervilli­ers, vous n’avez que 16 ans. Que se passe-t-il alors dans votre tête ?

S. O. – J’entre dans cette salle alors que je cherchais des cours de taekwondo et je m’immobilise. L’ambiance qui régnait là m’a tout de suite plu. On sentait le goût de l’effort, la solidarité dans l’effort… J’observe, et je tombe amoureuse de la boxe. C’est un sport où il faut toujours dépasser ses limites : c’est moi, ça !

En 1996, peu de femmes dans le monde, et encore moins à Aubervilli­ers, pratiquent la boxe…

S. O. – J’étais un peu un ovni, c’est sûr !

M. T.– Tu as même entendu des « Reste dans ta cuisine ! », non ?

S. O. – Oui, j’entendais des petites piques sexistes parfois, mais on ne m’a jamais chassée.

J’ai rapidement compris l’essentiel : le respect se gagne via ta rigueur, ta déterminat­ion et l’acharnemen­t que tu mets à accomplir les choses… Lorsque les hommes de la salle ont vu que je venais tous les jours aux entraîneme­nts, que je ne lâchais rien et que je montais sur le ring pour combattre, j’ai gagné leur respect.

En 1999, les combats pour femme sont enfin autorisés. C’était une évidence pour vous de monter sur le ring ?

S. O. – Mais j’étais trop heureuse ! J’avais enfin un objectif : des victoires à décrocher. Et puis, faire partie des premières femmes à monter officielle­ment sur un ring… ça n’est pas rien. Je suis fière d’avoir ouvert la voie.

M. T. – Voilà pourquoi Sarah fait partie des gens qui me donnent envie de faire ce métier de productric­e : sa déterminat­ion, la rigueur et le coeur qu’elle met dans tout ce qu’elle entreprend me fascinent. Mettre en lumière, via des documentai­res, des personnes d’exception, qui accompliss­ent dans l’humilité de grandes choses, c’est le fil rouge de ma boîte de prod.

Quelles sont les valeurs que la boxe vous a inculquées et que vous utilisez aujourd’hui encore hors du ring ?

S. O. – L’audace, le goût de l’effort, le dépassemen­t de soi, la rigueur et la stratégie mentale.

M. T. – Autant de valeurs que tu t’efforces de transmettr­e aux enfants en difficulté scolaire en Seine-Saint-Denis…

Je suis très fière d’avoir ouvert voie la SARAH OURAHMOUNE

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Sarah Ourahmoune et Mélissa Theuriau.
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Mélissa Theuriau : “Sarah fait partie des gens qui me donnent envie de faire ce métier de productric­e.”

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