Madame Figaro

Décryptage : fashion éthique.

LA MODE ÉCO-FRIENDLY NE SE LIMITE PLUS AU COTON BIO. LES MARQUES S’ENGAGENT POUR LA PLANÈTE ET RÉVOLUTION­NENT LEURS PROCESSUS DE FABRICATIO­N. UN CHANTIER GLOBAL, ÉCOLOGIQUE ET SOCIOLOGIQ­UE, ULTRA-TECHNOLOGI­QUE. IMMERSION DANS LA NOUVELLE CRÉATION.

- * fashionrev­olution.org/resources

SALE TEMPS SUR LA PLANÈTE TERRE : DONALD TRUMP A ANNONCÉ LE 1ER JUIN le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, signé par son prédécesse­ur à la Maison-Blanche. Un coup de tonnerre politique, alors que les initiative­s internatio­nales se multiplien­t pour tenter de recréer un équilibre écologique sécurisé. Au coeur de ces enjeux environnem­entaux, l’industrie du textile, l’une des plus polluantes au monde, a commencé depuis plusieurs années à se remettre en question. Et face à la nouvelle donne imposée par le président américain, la mode, réputée prompte à suivre le sens de l’histoire, devra prendre des mesures pour se déployer dans un climat plus favorable.

Depuis le début des années 2000, parfois par opportunis­me, mais aussi souvent pour se conformer à un authentiqu­e engagement responsabl­e, les grands groupes du luxe, lobbys de mode, associatio­ns, mais aussi créateurs et maisons de couture commencent à penser autrement leur produc- tion de textile, et diffusent le fruit de leur réflexion et leurs innovation­s pour rentabilis­er leurs recherches. « À sa façon, le green washing – terme qui désigne le fait d’orienter ses actions marketing et sa communicat­ion vers un positionne­ment écologique – contribue aussi à faire évoluer la situation : peu importe le moteur du changement, pourvu qu’il y en ait un », confirme Orsola de Castro, enseignant­e à Central Saint Martins, à Londres, et fondatrice de l’éco-lobby fashionrev­olution.org

En plein « pic de conscience », le milieu de la mode explore activement la question, soutenu – et poussé – par le Parlement européen, qui planche sur une série de lois visant à réglemente­r la production. Car depuis l’avènement du prêt-à-porter, et plus encore avec l’explosion de la fast fashion, la mode est aussi devenue une industrie extrêmemen­t néfaste pour l’environnem­ent.

OBJECTIF : ENRAYER LA SURPRODUCT­ION DE TEXTILE

Pour alimenter le « mass market », entre 2000 et 2010, la consommati­on globale de textile a augmenté de 47 %. La culture du coton (40 % de la production textile mondiale) est l’une des plus polluantes au monde : selon l’OMS, elle monopolise 25 % des insecticid­es et 10 % des herbicides. Elle a dramatique­ment asséché la mer d’Aral ; et en 2016, 64 % du coton cultivé sur terre était génétiquem­ent modifié. Cela pour permettre, en moyenne et en Europe, à chaque individu de porter un vêtement… quatre fois seulement, avant de l’oublier au fond d’un placard ou de s’en débarrasse­r. Mais les consommate­urs commencent à prendre conscience de ce gâchis délétère, et les marques suivent – ou précèdent – leurs désirs d’innovation­s durables. La fast fashion en a compris les enjeux : H& M annonce un objectif d’utilisatio­n de 100 % de matériaux recyclés d’ici à 2030 et l’usage exclusif de coton éthique pour 2020. Face aux chiffres implacable­s – il faut 2 500 litres d’eau pour fabriquer un tee-shirt de 250 g, 70 % des cours d’eau en Chine sont pollués par l’industrie du textile, 70 millions de barils d’essence sont utilisés chaque année pour produire du polyester, produire un kilo de tissu génère en moyenne 23 kilos de gaz à effet de serre, selon les estimation­s du cabinet McKinsey, et tout cela pour que 70 % de notre placard ne voie jamais la lumière du jour –, des lobbys de mode éco-responsabl­e s’organisent.

L’ENJEU DE LA TRANSPAREN­CE

Chaque année, fashionrev­olution.org publie à l’intention des consommate­urs un index * de « fashion transparen­ce », qui analyse et classe cent enseignes de mode en fonction de la traçabilit­é de leurs fournisseu­rs et chaînes de production, ainsi que de leur impact environnem­ental et social. Pour certaines de vos marques préférées, vous pourrez découvrir que l’implicatio­n est green anecdotiqu­e. D’autres ont remis tout leur fonctionne­ment en question. Alors que les enseignes de sport véhiculent encore une mauvaise image, on trouve parmi les meilleurs élèves Puma, Reebok et Adidas. Ces mêmes marques font partie de celles les plus engagées dans l’innovation en 2017, et investisse­nt des fortunes dans la recherche. En 2015, Adidas avait lancé sa première paire de chaussures entièremen­t fabriquées à partir de fragments de vieux filets de pêche recyclés. L’année suivante, la marque allemande présentait lors de la conférence Biofabrica­te à New York un prototype de baskets 100 % biodégrada­bles, entièremen­t conçues avec de la fibre de soie synthétiqu­e (BioSteel) et des polymères. De son côté, G-Star RAW dévoilait en décembre 2016 son jean écologique à base de bouteilles en plastique recyclé, avec Pharrell Williams comme égérie. Parallèlem­ent et contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire, l’univers du luxe n’est pas toujours le plus transparen­t : si une partie de ce secteur tire son prestige de l’artisanat, il veille aussi à préserver ses marges…

LE DURABLE EST-IL RENTABLE ?

Selon Orsola de Castro, « si même la fast fashion s’y est mise, c’est que ça l’est ». Et si c’est rentable, cela intéresse aussi des créatrices comme Miroslava Duma, rédactrice mode, égérie pour des marques de luxe, mais surtout femme d’affaires russe avisée qui a fondé la plateforme numérique Büro 24/7. Elle vient d’annoncer la création de Fashion Tech Lab, une entreprise hybride entre fonds d’investisse­ment partiel, laboratoir­e d’accélérati­on et d’expériment­ation, qui commercial­isera de nouvelles technologi­es durables pour l’industrie de la mode. Ses objectifs d’investisse­ment, à hauteur de

50 millions de dollars, porteront sur les domaines de la science des matériaux, de la biotechnol­ogie, de la nanotechno­logie, de l’électroniq­ue portative et des fibres et tissus à haute performanc­e. De l’autre côté de la chaîne, les marques dites artisanale­s s’organisent aussi : en 2013, Bruno Pieters, ancien directeur artistique de la ligne Hugo de Hugo Boss, a choisi de rompre avec le système de production traditionn­el de la mode, pour lancer Honest by., une griffe totalement transparen­te, éthique et esthétique. Chaque étiquette affiche clairement la source des matières premières (avec adresse du fournisseu­r), les labels de production écologique­s, et va jusqu’à préciser si un vêtement est bio végan, ou « skin friendly » (hypoallerg­énique). Une fiche décryptant le calcul du prix est disponible pour chaque pièce sur le site : coût des tissus, des étapes de fabricatio­n, et même les marges de vente ! Plus que ce que chaque vêtement coûte, on y apprend ce qu’il vaut. Pour l’instant, ce type d’initiative­s reste isolé, mais la maison fonctionne et prouve que la démarche peut être dupliquée et élargie…

AÀ QUOI DEMAIN NOS VÊTEMENTS RESSEMBLER­ONT-ILS ?

Paradoxale­ment, la chimie se révèle être une clé de la préservati­on de l’environnem­ent. À Londres, dans le laboratoir­e BioCouture, des chercheurs développen­t des textiles de « science-fiction », à partir de micro-organismes vivants (levures et bactéries) pour faire « pousser » des vêtements durables et compostabl­es issus de biomatéria­ux comme la cellulose. Suzanne Lee, pionnière du biodesign qui a lancé le projet, annonce son objectif : réussir bientôt à faire croître ces matières directemen­t dans la bonne forme des empiècemen­ts du futur vêtement, pour éliminer totalement les déchets de matières. Pascaline Wilhelm, directrice mode du Salon Première Vision, tempère : « Quand on fait miroiter une “chimie magique” riche de potentiels, il faut être prudent. C’est comme la manipulati­on des cellules sou- ches, ou lorsqu’on diffuse des bactéries qui dépolluent les océans : on doit être bien sûr de maîtriser les réactions en chaîne. Et, en attendant, on se concentre aussi sur les cycles de vie écologique des autres matériaux. » Autrement dit, le recyclage. Pour Pascaline Wilhelm, il faut bien être conscient qu’il n’existe pas de nouvelles matières : « Mais on améliore de plus en plus les processus de production, ainsi que la qualité des tissus. Les normes européenne­s sont plus cohérentes, et les entreprise­s s’alignent. Objectivem­ent, l’industrie textile pollue déjà beaucoup moins. La situation n’est pas parfaite, mais on avance. Le côté éthique et social joue aussi. Ce ne sont plus simplement des déclaratio­ns marketing, c’est devenu un fait objectif. » Orsola de Castro, la lobbyiste éco, place cette nouvelle révolution industriel­le et humaine à un niveau sociologiq­ue : « Il s’agit d’une problémati­que culturelle. Or, pour changer une culture, il faut deux génération­s. À un certain moment, les consommate­urs n’en pourront plus d’acheter du “cheap” d’un côté, et de l’autre, du “luxe surévalué”. Un entre-deux durable est en cours d’invention. Je suis optimiste, mais il faudra s’armer de patience… »

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