Madame Figaro

Exclusif : Beth Ditto

LA CHARISMATI­QUE ICÔNE POP SORT “FAKE SUGAR”, SON PREMIER ALBUM EN SOLO. COMPLICE ET FAN ABSOLUE, LA CRÉATRICE ANGLAISE, PAPESSE DE LA MODE GREEN, L’A RELOOKÉE POUR L’OCCASION. RENCONTRE ENTRE DEUX FEMMES ENGAGÉES.

- PAR PAOLA GENONE

Elles n’avaient a priori rien en commun, et pourtant leur rencontre fut une évidence. Entre la chanteuse née dans une famille modeste de l’Arkansas, devenue une star indie-punk, et la créatrice de mode surdouée issue de l’aristocrat­ie du rock anglais, le courant n’est pas seulement passé. Au fil du temps, l’amitié entre Beth Ditto et Stella McCartney s’est muée en complicité, l’une inspirant l’autre, au point de travailler ensemble. Avec sa voix explosive de diva soul-gospel, son look glamour « larger than life », comme elle dit, son féminisme et son homosexual­ité assumés, Beth Ditto a conquis « Steel Stella » (Stella d’acier). À la tête d’un empire, Stella McCartney est le symbole d’une mode affranchie, éthique et durable. Cette passionnée d’art est aussi une infatigabl­e porteparol­e de la lutte contre les violences faites aux femmes dans le monde, notamment à travers la fondation Kering, dont elle est la marraine. Et l’Américaine se reconnaît plus que tout dans la vision de la styliste anglaise : « Stella est à la fois une artiste, une féministe et une militante de la protection de l’environnem­ent et des animaux. » Après six albums avec son groupe Gossip, Beth Ditto se lance maintenant en solo et livre un disque magistral, « Fake Sugar ». Une pop flamboyant­e, saupoudrée de blues endiablé, émotionnel­le et puissante comme cette diva iconoclast­e. Pour célébrer leur amitié et fêter la nouvelle vie de la chanteuse, Beth Ditto et Stella McCartney nous ont accordé un entretien en exclusivit­é. Il est 22 heures : l’une est dans ses bureaux de Londres, l’autre à l’aéroport, de retour de l’Arkansas, où elle est allée rendre visite à sa famille. « Ce n’est pas un fuseau horaire qui nous rendra plus décalées que nous ne le sommes », lance en riant Stella McCartney.

« MADAME FIGARO ». – Comment est née votre amitié ?

STELLA MCCARTNEY. – En 2006, j’ai acheté l’album de Gossip. Je l’écoutais en boucle, inspirée par ce son puissant, ensorcelan­t. La voix de Beth a une présence fracassant­e. Il en émane une force de vie incroyable, c’est une énergie renouvelab­le ! Je l’ai invitée peu après à un after-show à Paris. Elle est arrivée avec une robe

en lamé telle une Cléopâtre punk. Ce soir-là, je n’ai pas été la seule à être impression­née par son charisme, ses yeux immenses comme des phares… Elle a pris le micro et chanté « Standing in the Way of Control », une protest song discopunk dénonçant la décision du gouverneme­nt Bush d’interdire le mariage homosexuel. Beth n’est pas convention­nelle, elle bouscule les règles, c’est ce que j’aime chez elle.

BETH DITTO. – J’étais terribleme­nt nerveuse. Vous n’imaginez pas ce que signifiait pour moi de rencontrer Stella McCartney ! Une styliste dont j’ai toujours adoré les créations… Je suis impression­née par son parcours d’activiste sans compromis, et j’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi anticonfor­miste et rock’n’roll. Ce soir-là, elle dansait comme une gamine. Plus tard, nous avons longuement parlé de musique, d’art, de nos vies… Depuis, Stella et moi nous voyons régulièrem­ent. Nous venons de mondes diamétrale­ment opposés, mais en réalité nos parcours se réfléchiss­ent comme dans un miroir… Rien n’a été facile pour nous.

Qu’y a-t-il de commun dans vos parcours ?

B. D. – Nous avons eu des mères très fortes, qui nous ont donné des racines. J’ai grandi dans une petite ville paumée de l’Arkansas avec sept frères et soeurs. Ma mère, infirmière, nous a élevés seule. C’est une femme d’une force surhumaine, sensible, drôle, passionnée de musique. La mère de Stella, Linda Eastman, était une merveilleu­se photograph­e et une musicienne. Elle venait d’un milieu privilégié, mais elle a élevé Stella avec les mêmes valeurs que celles de la mienne : l’humilité, la volonté, la liberté, l’authentici­té, et l’idée qu’il ne faut jamais se laisser vaincre par l’adversité. Quand elle a démarré, tout le monde se moquait d’elle, la traitant de « fille de ». Si l’on hérite d’argent et d’un nom, on ne peut hériter ni du talent ni des fans ! Stella et moi avons réussi toutes seules. Quand j’ai quitté l’Arkansas, à 18 ans, pour tenter une carrière de chanteuse, j’avais aussi peu de chances de réussir que Stella.

S. MCC. – Beth me rappelle ces artistes qui m’ont influencée : Chrissie Hynde ou Debbie Harry… Des femmes simples, élégantes et pleines d’audace – comme ma mère –, et dont la force et le talent nous portent. Ce n’était pas gagné pour Beth ni pour moi. Dans l’univers dans lequel j’ai grandi, on vous attend au tournant ; dans le sien… on ne vous attend pas. C’est une qualité rare que d’affirmer sa différence et d’avancer « sans peur » et sans masque. Il n’y a rien de faux chez Beth. À part ses cils !

Stella McCartney, comment décririez-vous l’album de Beth Ditto ?

S. MCC. – Détonant, énergique et plein d’émotion. Elle l’appelle « mon disque de Sudiste » parce qu’elle revient sur son passé et qu’elle nous offre sa vulnérabil­ité. Mon père m’a toujours dit que Beth avait un talent intemporel, qu’elle allait nous étonner par ses choix, et c’est vrai. Elle est parvenue à faire à la fois des tubes et un concept album qui brûle de vie et d’espoir.

B. D. – Longtemps, j’ai eu l’impression d’être la voix de Gossip, mais non le cerveau. Je n’osais pas m’exposer, de peur d’échouer. Mais là, je n’avais plus le choix, comme je le raconte dans la chanson

« Fake Sugar », fondée sur le divorce artistique douloureux entre Nathan Howdeshell, le guitariste et cofondateu­r de Gossip, et moi. Je me suis sentie abandonnée. Je me suis relevée et j’ai décidé de me lancer.

« Fake Sugar » est autant un manifeste musical qu’un poème visuel orchestré par Mary McCartney. Racontez...

B. D. – Quand j’ai décidé de faire cet album, j’ai compris que j’allais avoir 36 ans, qu’il était temps de faire la paix avec mon passé et de m’assumer. J’ai demandé à Mary McCartney de créer la pochette de l’album et de prendre les photos pour l’intérieur. J’avais envie d’un look country, bucolique, très américain. Elle m’a photograph­iée douze heures d’affilée dans le manoir de Paul McCartney, dans le Sussex ! J’ai été traitée comme une princesse : je voulais un cheval, et j’en ai eu un blanc, magnifique.

Comment votre passion réciproque pour la mode vous a-t-elle réunies ?

S. MCC. – Il y a quelque chose d’extrêmemen­t rebelle chez Beth. Elle transgress­e tous les clichés féminins de la mode et m’a souvent inspirée. Je l’imagine en noir, rouge et blanc, des couleurs qui crépitent sur son teint élisabétha­in, le rouge de ses lèvres et les tracés graphiques autour de ses yeux… Lors d’une soirée en hommage à la mode et à la musique dans les

Beth trangresse

les clichés féminins de la mode et m’a souvent inspirée STELLA MCCARTNEY

studios d’Abbey Road, elle portait une longue tunique rouge vif, puis a chanté dans une robe courte en soie que j’avais créée pour elle. Elle était magnifique ! Kate Moss et Salma Hayek, qui étaient là, m’ont dit que Beth était un modèle pour elles. Elle s’autorise à être différente et valorise sa différence, la rend glamour. Elle ne cherche pas à être aimée par tout le monde, nous nous ressemblon­s beaucoup là-dessus.

B. D. – Stella est ouverte, elle n’a pas de frontières ni de tailles. Ses créations sont magnifique­ment bien coupées, et en même temps elles ont un côté flottant, aérien qui les rend accessible­s à des « big persons » comme moi. Je me souviens d’un manteau noir signé Stella McCartney que j’avais acheté quand je n’avais pas beaucoup d’argent. Avec, je me sentais belle, élégante, et je le porte toujours. Stella s’est intéressée à moi vraiment, pas comme à un phénomène de cirque… Nous nous sommes mutuelleme­nt inspirées, et en ce moment je ne quitte pas ses chaussures de la collection Elyse, des baskets argentées avec des étoiles blanches – mélange de glamour et de streetwear. Quand elle m’a dit qu’elle les avait créées en pensant à moi, j’ai été tellement fière !

Stella McCartney, vous revendique­z depuis toujours une mode écologique et militez pour la protection de l’environnem­ent. Cela constitue-t-il pour vous une éthique de vie ?

S. MCC. – C’est une conviction, un engagement quotidien : je travaille pour trouver des alternativ­es à notre façon de vivre et de consommer. Ma mère a été une pionnière en matière d’écologie, mais à l’époque le combat qu’elle menait n’intéressai­t pas grand monde. Aujourd’hui, de plus en plus de gens sont conscients de l’impact de notre mode de vie sur l’avenir de la

J’ai rarement rencontré

quelqu’un d’aussi rock’n’roll que Stella BETH DITTO

planète. L’écologie est au centre de ma vie. Je suis végétarien­ne comme mon père et Mary, et nous cultivons un potager bio. Ensemble, nous avons lancé Meat Free Monday (lundi sans viande). Cette campagne peut vous paraître ridicule, mais elle a un impact énorme sur l’environnem­ent : la consommati­on de viande représente 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Au bureau, notre électricit­é provient d’une éolienne, comme dans mon studio, nos magasins et ma maison. Je refuse d’utiliser du cuir parce que j’aime les animaux et que les processus de tannage sont extrêmemen­t toxiques. L’industrie textile est l’un des secteurs les plus polluants, c’est pourquoi je privilégie les matériaux recyclés et durables. Cent vingt millions d’arbres sont abattus chaque année pour fabriquer de la viscose non durable ! Je suis convaincue depuis toujours qu’il est possible de concilier style et éthique.

Et vous, Beth Ditto, êtes-vous concernée par l’écologie ?

B. D. – J’ai grandi en me gavant de chewing-gums hypersucré­s, et j’étais accro aux canettes de Cherry Coke ! Quand on est pauvre, la première des préoccupat­ions n’est pas vraiment de se demander si on est « eco-friendly ». C’est un problème d’éducation, d’informatio­n, de temps. Ce que j’admire chez Stella, c’est qu’elle prend le temps de parler des enjeux de notre planète dans les écoles. Et elle ne culpabilis­e personne, elle ne cherche pas à vous convertir à tout prix au végétarism­e, elle ne vous arrache pas votre sac en cuir pour sauver le monde. Elle tente simplement de sensibilis­er les gens. Quand je porte ses fausses fourrures ou ses superbes chaussures en cuir synthétiqu­e, je me demande simplement : à quoi bon tuer tous ces animaux ? « Eco-friendly », ce terme qui m’agaçait a désormais un sens pour moi : respecter notre environnem­ent, car en le protégeant nous nous protégeons, nous et nos enfants. Être green aujourd’hui, c’est tout sauf niais. C’est une rébellion, tout comme l’était le « no future » du manifeste punk : un cri de vie. Album de Beth Ditto : « Fake Sugar », Sony Music.

Stella McCartney est engagée auprès de l’associatio­n de lutte contre la pollution plastique marine Parley for the Oceans. www.parley.tv et www.oceanplast­ic.com

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Beth Ditto et Stella McCartney.

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