LAURENCE BENAÏM Le portrait d’un homme d’intérieur
FITZGÉRALDIEN, JEAN-MICHEL FRANK AURAIT PU ÊTRE UN PERSONNAGE DE ROMAN. Laid, mais d’une laideur qui par son essence pouvait s’apparenter à une certaine forme de beauté, brillant, mondain, névrosé, complexé par le paradoxe de sa naissance
– juif et allemand –, il incarne le romantisme désinvolte et vénéneux de l’artiste maudit. C’en est presque un cliché. Personnage de roman, donc, mais qui a vraiment existé et dont Laurence Benaïm, férue du monde de la mode et de ses défilés, a fait un essai. Une biographie extrêmement pointue et documentée, riche en noms et citations, où l’on apprend comment ce fils de bonne famille, à la poursuite du silence plus que du bonheur, devint dans les années 1930 une référence, la référence, en termes de décoration intérieure. De Marie-Laure de Noailles à Elsa Schiaparelli, des Rothschild à Rockefeller, de Paris à New York en passant par l’Argentine, qui connaît alors une période de faste et d’opulence, on est prêt à tout pour l’un de ces intérieurs quasi monacaux dont le décorateur a fait sa spécialité, où le blanc met en scène la lumière et le galuchat en exergue la douceur de la peau. Inventeur d’une époque mais incapable de l’apprécier, phalène fragile habitée par la nuit, homosexuel honteux mais amoureux, Jean-Michel Frank sombrera dans l’alcool et la drogue, pour finir par se suicider. Romanesque jusqu’au bout, et complètement désespéré. V. G.
Jean-Michel Frank, le chercheur de silence, de Laurence Benaïm, éditions Grasset, 352 p., 24 €.