Madame Figaro

Estelle Lefébure

MANNEQUIN, COACH LIFESTYLE, CHEF DE TRIBU, ACTRICE… ELLE MULTIPLIE LES RÔLES AVEC UN NATUREL ÉTONNANT ET PUBLIE UN LIVRE DE RECETTES BIEN-ÊTRE POUR LES ENFANTS. RENCONTRE AVEC UNE FEMME SOLAIRE EN PERPÉTUELL­E QUÊTE DE DÉCOUVERTE­S.

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UUN LÉGER ACCENT ANGLAIS ET DES MÈCHES BLONDES DIAPHANE s’échappant d’un chapeau de cow-boy, héritage de ses années passées entre la côte Ouest et New York… Tee-shirt blanc, jean délavé et peau dorée, elle se promène comme une reine aux pieds nus dans l’un des salons de l’hôtel Saint James. C’est un insolite jour de juillet parisien ; le ciel est blanc comme dans un tableau de Turner, et le visage d’Estelle Lefébure se reflète sur une porte-fenêtre, se superposan­t comme un jeu de miroirs aux ondulation­s des platanes qui entourent l’hôtel. Quand elle avance vers l’objectif du photograph­e, Estelle semble jouer le scénario de sa vie . Rien n’est lisse chez elle. Tout vibre, tout est intense. La top-modèle qui a inspiré les plus grands photograph­es – Helmut Newton, Irving Penn, Richard Avedon, Mario Testino… – et les créateurs de mode – de Thierry Mugler à John Galliano - est une femme capable de passer du faste des podiums au grand écran – comme dans « le Bal des actrices » – tout en restant ancrée dans la vraie vie. Mère de trois enfants – Ilona (22 ans), Emma (20 ans) et Giuliano (6 ans et demi) –, elle est à la fois le symbole d’une beauté qui se joue du temps, d’une vie « healthy » et d’un bien-être intérieur dont elle livre les secrets dans un troisième ouvrage – les deux premiers se sont écoulés à plus de 70 000 exemplaire­s. Pratiquant le yoga sur son paddle, fatale sur ses Louboutin ou cherchant le visage de son père parmi les centaines de photos de son smartphone, Estelle Lefébure se révèle être une femme en perpétuel mouvement.

« MADAME FIGARO ». – D’où vous vient ce côté solide, bien dans votre peau ?

ESTELLE LEFÉBURE. – De l’autodérisi­on, d’une quête de profondeur… J’ai été inspirée

par des femmes comme Lauren Hutton, que j’ai rencontrée et qui est exceptionn­elle – au-delà de sa beauté. Je crois qu’il faut trouver un certain équilibre, une façon d’appréhende­r ce métier et notre rapport à la beauté. Je suis très profession­nelle dans mon travail, mais j’ai tout fait pour qu’il ne dévore pas ma vie. C’est une sorte de recul que j’ai depuis toujours. Ce n’est pas moi qui suis allée vers ce métier…

Comment avez-vous commencé, alors ? On m’a découverte dans la rue : j’avais 17 ans, et j’étais de passage à Paris. Ma mère a refusé que je me lance dans le mannequina­t ; elle voulait que je passe mon bac d’abord. Deux ans plus tard, installée à Paris pour mes études, je suis tombée sur le même agent dans un café ! Et là, je n’ai pas hésité : j’ai commencé en février, et en juillet j’étais en couverture d’un magazine de mode… Mais je n’ai jamais été obsédée par ce milieu. J’ai réussi à garder un équilibre entre ma vie personnell­e et ma vie profession­nelle, ce que certaines filles n’ont pas fait. Ce métier peut être très déstabilis­ant parce que la carrière de mannequin est très courte. On vous presse comme un citron, et puis bye-bye. Et après, que reste-t-il ? C’est très furtif. C’est pour cela que j’ai voulu aller plus loin, devenir aussi comédienne.

Plus on vous observe, plus on a le sentiment d’être face à une femme de la trempe d’Anita Pallenberg ou de Kate Moss… Des femmes qui ont dansé avec le diable. On se trompe ?

Non, c’est vrai. Ces femmes résonnent en moi ; elles se sont battues, même contre leurs propres démons. Certains ont une image très lisse de moi. Mais j’ai un côté écorché. J’aime aller toujours plus loin, toucher la limite… En réalité, je ne cesse de changer, d’évoluer. Comme disait Einstein : « Tout est énergie, tout est vibration. » Ceux qui me connaissen­t me disent que je suis une vieille âme. J’aime cette qualificat­ion : j’ai encore énormément de choses à apprendre, mais j’ai en effet vécu beaucoup de choses et je suis assez rock’n’roll.

Avec le recul, les années 1980 et 1990 n’étaient-elles pas bien plus créatives et avant-gardistes qu’on ne l’a dit ?

Oh oui ! Nous étions une dizaine de mannequins à nous partager les campagnes publicitai­res, les couverture­s des magazines, chacune avec une personnali­té bien différente, que ce soit Linda Evangelist­a, Cindy Crawford, Christy Turlington, Naomi Campbell ou moi. À cette époque, on ne cherchait pas à ce que toutes les filles se ressemblen­t. On n’essayait pas de gommer, de déformer… Les retouches existaient, mais pas au point de changer un visage. Mais dans la nouvelle génération, des filles comme Cara Delevingne sont très intéressan­tes, justement parce qu’elles sortent du lot et s’imposent.

Quel est votre rapport au temps, à l’âge ?

Il est simple. Je ne mens pas sur mon âge. J’ai 51 ans, et la vision sur les quinquagén­aires a évolué. Nous ne sommes pas finies ! J’ai lu un très joli livre qui s’intitule « Il n’est jamais trop tard pour éclore. Carnet d’une late bloomer », de Catherine Taret. Elle a parfaiteme­nt raison : il n’y a pas d’âge pour vivre une expérience nouvelle, refaire sa vie, changer de métier. Ce qui compte, c’est de savoir comment on se sent. Je suis heureuse d’être mère, d’avoir mille et une responsabi­lités, mais je ne veux pas oublier d’être femme. Nous devons nous dire que nous avons toujours le droit d’être désirables et de désirer sans honte. C’est vital.

Cela comporte aussi une certaine capacité d’indépendan­ce…

Bien sûr ! Une femme a sa propre vie, au-delà de son travail, de son rôle de mère, de compagne. J’espère être le meilleur guide pour mes enfants, mais j’ai besoin de faire mon chemin, moi aussi. La vie est tellement intéressan­te, et je suis heureuse de vieillir pour apprendre encore et encore. Je suis dans une soif de découverte­s…

Que vous partagez, d’ailleurs. Vous publiez votre troisième livre chez Flammarion…

Oui. Ce livre va être axé sur le bien-être avec les enfants, de 6 mois à l’adolescenc­e. Cette nouvelle aventure – écrire des livres – a été fabuleuse : je ne suis

“Il n’y a pas d’âge pour vivre une expérience nouvelle”

pas nutritionn­iste, éducatrice ou pédiatre ; je partage tout simplement mes petits conseils de maman à travers des réflexions, des recettes, des nouvelles, des jeux et une façon de pratiquer la méditation avec les enfants. On se découvre avec eux, et c’est un vrai travail…

Comment étaient vos propres parents ?

Mon père était très grand, très charismati­que. Un très bel homme, avec des pommettes hautes et un regard perçant. (Elle nous montre une photo.) Le voici en Normandie, sur les falaises… Et voici ma mère : elle était si belle et si forte, ma maman ! (La ressemblan­ce est impression­nante.) Ils ne sont plus là, et je suis en haut de l’échelle… Ça donne le vertige. J’ai perdu mon père à 23 ans, et ma mère il y a quinze ans. C’est trop tôt pour être en première ligne. Et surtout je n’étais pas prête… En Occident, on ne prépare pas les gens à la mort. Alors qu’en voyageant j’ai vu l’inverse chez les Tibétains, chez les bouddhiste­s. Quand mon père est mort, au lendemain de mon mariage, on m’a offert « le Livre tibétain de la vie et de la mort », de Sogyal Rinpoché. J’y suis entrée peu à peu… et cela m’a aidée. À cette époque, j’étais mariée avec David (NDLR : Hallyday) ; nous étions fascinés par le bouddhisme.

Vous vivez entre Paris, Saint-Barth et Bali, où vous pratiquez la méditation…

Bali est un endroit où je me ressource, c’est à chaque fois un moment très spirituel, un nettoyage. Grâce à la méditation, j’arrive à me créer un univers plus apaisé, que je sois à Paris, à Bali ou ailleurs. Ce sont des moments très importants pour moi, car j’ai besoin de me recentrer, de me retrouver, d’évacuer, parce que nous avons tous des vies assez stressante­s dans nos environnem­ents urbains. La méditation fait partie de ma vie : pour être dans l’instant présent

et aussi pour accepter mes propres choix, cesser d’hésiter, de regretter…

Quel rapport entretenez-vous avec la mode aujourd’hui ?

Je m’y intéresse toujours, mais je n’ai jamais été une fashionist­a. J’y suis sensible parce que j’aime me sentir belle, porter des vêtements qui me correspond­ent, et je suis intéressée par ce qui se passe. Mais depuis toujours, dans une collection, je vais choisir « la » pièce qui va être intemporel­le à mes yeux… pour me dire qu’un jour elle sera portée par l’une de mes filles. Vos filles ont suivi votre chemin… Oui et non. Ilona est mannequin, mais elle est aussi une formidable artiste peintre. Elle a suivi des cours d’art à New York l’été, après son bac, puis elle a fait le Saint Martins College of Art and Design, à Londres, et j’ai assisté à une vraie éclosion. Emma, qui est une très jolie fille aussi, flirte avec le milieu de la mode, mais elle a plus envie d’aller vers le cinéma. Elle a déjà travaillé pendant un an dans une société de production, et elle entame des études dans une école de cinéma à Londres.

De qui ont-elles hérité cette passion pour l’art ?

Sans doute du côté du grand-père de David, qui était peintre… Mon papa dessinait, lui aussi. Je suis également très sensible à l’art, à la peinture, à la sculpture. Je peux passer des heures au musée Rodin. J’adore Camille Claudel. Mais j’aime aussi l’art contempora­in. J’ai, par exemple, deux ou trois tableaux de Scorpion Dagger et une sculpture d’esprit dada de William Sweetlove. Je fonctionne par coups de coeur.

Êtes-vous touchée par le courage de Johnny face à l’épreuve qu’il traverse ?

Bien sûr ! Il est le grand-père de mes filles. Il y a un lien indestruct­ible entre nous tous. La famille est très importante pour moi… car personne n’est immortel. Il faut se dire qu’on doit en profiter. Profiter des endroits. Profiter même du silence, du vide. D’une rencontre. De ce que la vie nous offre. Profiter, c’est un peu un synonyme pour moi de « et pourquoi pas ? » !

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Estelle Lefébure

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