Madame Figaro

Décryptage: en français, s’il vous plaît.

FINI LES ANGLICISME­S ! DES BOUTIQUES DE QUARTIER JUSQU’AUX DISCOURS PRÉSIDENTI­ELS, LA MODE EST AUX LEXIQUES JOLIMENT DÉSUETS. ET SI CE LUSTRE APPORTÉ À NOTRE VOCABULAIR­E ÉTAIT UNE MANIÈRE DE LUTTER CONTRE LA GLOBALISAT­ION ?

- PAR VALÉRIE DE SAINT-PIERRE / ILLUSTRATI­ON ÉRIC GIRIAT

BONNE NOUVELLE POUR CEUX QUI ENVOIENT DES « COURRIELS » et des « méls » depuis des lustres. Il semble que mettre partout des « y » (comme dans... trendy !) et des « ing » (hello le coworking) et autres anglicisme­s soit moins dans l’air du temps. Voire complèteme­nt « has been » – euh... pardon...finidémodé-ringard ! Ainsi, la « fashion » est par exemple redevenue la « mode ». Et les « jolies filles » qui la peuplent vont grignoter dans des « cantines » des « cocottes » de légumes-racines, en tee-shirt « Bonjour Françoise » (Monoprix, collector de la rentrée)… Ça sent le roussi pour les « it girls » croqueuses de sashimis ! Ces demoiselle­s aiment aussi beaucoup fréquenter de « belles personnes » plutôt que des gens bêtement « cool » ou « fun ». Les folles de déco, de leur côté, acquièrent frénétique­ment de « beaux objets » – et surtout pas des « gadgets », horreur ! – dans des « magasins généraux » (comme La Trésorerie, dans le Xe arrondisse­ment pari- sien). Ces derniers ressemblen­t pourtant beaucoup, parfois, à des « concept-stores », mais chuuut... Les « Maisons » (Plisson, Michel, Orso, Père, etc), les « Officines » (Buly), les « Ateliers » (Couronnes, Caulaincou­rt), voire les « Fabriques », pullulent depuis quelques saisons, comme à l’époque du second Empire. Et n’ont pas leur pareil pour faire naître cette aura de tradition française immémorial­e, désormais plus désirable qu’un « Paris-New York-Stockholm-Tokyo ».

Un pas vient d’être récemment franchi avec ces nouveaux lieux qui adorent puiser dans le lexique cocorico un brin exalté. Les restaurant­s parisiens Bonhomie ou Le Bel Ordinaire, la boulangeri­e « Liberté », le club « Communion » à la Cité de la mode et du design, toujours à Paris, ou l’épicerie L’Idéal, à Marseille, suggèrent un ancrage vieille France bien éloigné du coffee shop brooklynes­que. Choisir un prénom de grand-mère bien « fran-

chouille » pour un endroit est aussi du dernier chic parisien. On dîne ou on goûte chez Odette, « auberge urbaine » ou « bar à choux » (deux adresses se partagent la belle), on grignote chez Marcelle, repaire très couru de la rue Montmartre. Quant au sport en salle, il ne se pratique plus chez Fitness 3000 mais Chez Simone (qui est aussi le nom d’une applicatio­n de soins à domicile, au passage). Enfin, le salon des dames – expression surannée s’il en est – est sorti de l’oubli pour redevenir à la fois le nom d’un site féministe (salondesda­mes.com) et celui d’un restaurant (le Salon des dames de Granvelle, qui ouvre à la mi-septembre rue Rochechoua­rt, à Paris).

Le made in France – et son éthique qui enthousias­me tant les jeunes gens modernes – aurait-il déteint aussi sur leur langage et celui d’une nouvelle génération d’entreprene­urs ? C’est probable. Par une forme de capillarit­é sémantique assez prévisible, comment continuer à appeler « shoes » des souliers en cuir de taurillon du Pays basque, cousus à la main dans un atelier limougeaud ? Impossible. Ça ne collerait pas avec la « mise en récit » (jadis connue sous le nom barbare de « storytelli­ng »), si en faveur actuelleme­nt ! Pour le sociologue de la consommati­on Patrice Duchemin, qui anime le site de réflexion L’OEil de l’Observatoi­re Cetelem, cette petite manie « francisant­e » va plus loin que l’astuce marketing. Elle traduit aussi parfaiteme­nt « le paradoxe des millennial­s qui, tout en étant très technos, sont aussi extrêmemen­t conservate­urs. Ils n’aiment rien tant que s’inscrire dans une histoire, dans une tradition rassurante. Et se protègent du vaste monde et de ses dangers en se repliant symbolique­ment sur un langage passéiste un brin affecté ». Le nouveau projet de Marie-France Cohen (fondatrice de Merci) se nomme d’ailleurs « Démodé », ça va leur plaire ! Quant aux si charmants prénoms de mamies de certaines marques(n’est-ce pas les cosmétique­s bio Apoldine, ou les lunettes Polette ?), « ils procèdent du même besoin de rempart contre l’inquiétant monde qui vient, poursuit le sociologue. Ils visent à réintrodui­re de l’humain dans un univers mondialisé où la robotique monte en puissance ».

IIl est probable aussi que la tendance « pardon my French » ait été adoubée en haut lieu : notre littéraire et jeune président n’est pas avare, lui non plus, d’expression­s françaises de... derrière les fagots. Sa « poudre de perlimpinp­in » est célèbre, ses répliques s’émaillent de « galimatias » surannés et de « ballots » vieillots. Quant au délicieuse­ment châtié « Vous dites de grosses bêtises » du débat ultime de la présidenti­elle, il signe le retour en grâce du parler de maître d’école de la IIIe République. Un petit livre, documenté et amusant, vient d’ailleurs d’être consacré au si rétro lexique élyséen (« le Petit Macron de la langue française », de Sophie de Thalès, éditions Leduc.s). Au-delà de l’anecdote, cet ouvrage malicieux acte que l’« on combat aussi avec la langue » et que « les mots sont une bataille », pour citer Éric Fottorino, patron de l’hebdomadai­re « Le 1 ». Mazette !

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