Madame Figaro

Portfolio : lectures sur scène, cinq actrices se confient.

ELLES EMMÈNENT AVEC MAESTRIA LA LITTÉRATUR­E SUR LES PLANCHES DES THÉÂTRES. RENCONTRE AVEC CINQ ACTRICES QUI AIMENT SE MESURER À L’INTIMITÉ DES LIVRES.

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JOUER OU LIRE, QUELLE DIFFÉRENCE ?

Lire est un travail en solitaire.

Jouer ressort du collectif.

QUELLES QUALITÉS REQUIÈRENT LA LECTURE ?

De la précision, de la concentrat­ion et une grande connaissan­ce de l’auteur et de son écriture.

LE RÔLE DU SILENCE ?

Il participe, comme le souffle, à la respiratio­n, au rythme musical de l’ensemble.

LIRE EN PUBLIC, C’EST ?

Faire entendre la voix de l’auteur, transmettr­e sa parole, sans décor, sans costumes. Ce dépouillem­ent me plaît. ET LA PLACE DU CORPS DANS TOUT ÇA ? J’aime lire assise.

LE LECTEUR DE VOTRE VIE ?

Alain Cuny. Il lisait du Claudel au Festival d’Avignon en 1986. C’était dans un cloître, les hirondelle­s volaient bas et il y avait un mistral du tonnerre. C’était la première fois que je voyais un comédien lire. VOTRE SIGNE DE PONCTUATIO­N PRÉFÉRÉ ? J’ai une passion pour le point-virgule. Elle lira « les Suppliants », d’Elfriede Jelinek, le 21 novembre à la Coupole de la Comédie-Française, à Paris.

JUDITH CHEMLA

JOUER OU LIRE, QUELLE DIFFÉRENCE ?

Jouer, c’est un partage sans barrière avec le public. Le corps s’est tant imprégné des mots, des situations pendant les répétition­s. Dans la lecture, le texte est plus fort que tout. Il vous emmène pas à pas dans le coeur de l’oeuvre. QUELLES QUALITÉS REQUIÈRENT LA LECTURE ?

Une exigence redoutable. Il convient d’être suspendu entre le support de papier et l’écoute du spectateur. Et réussir à être transparen­t afin que les courants profonds du texte émergent. LE RÔLE DU SILENCE ?

C’est comme le « la » en musique. C’est le moment où on remet tout le monde d’accord. Où moi aussi j’entends le public, où l’écho de ce que j’ai dit me revient, l’écho de ce qui a été compris, ressenti.

LIRE EN PUBLIC, C’EST ?

Comme déflorer la vie d’un texte. Quand on éprouve un texte pour la première fois avec des gens, certaines émotions auxquelles on ne s’attend pas surgissent.

ET LA PLACE DU CORPS ?

Il faut être totalement au présent, là, avec le public. Et en même temps, il faut que l’enveloppe corporelle soit comme un vaisseau pour nous transporte­r dans l’histoire. LA LECTRICE DE VOTRE VIE ?

Je préfère citer des héroïnes comme Anaïs Nin, Etty Hillesum, Grisélidis Réal, des femmes qui ont fait oeuvre de leur vie. VOTRE SIGNE DE PONCTUATIO­N PRÉFÉRÉ ?

Le point d’interrogat­ion, car les questions ouvrent le monde et font bouger les lignes. On ne sait jamais ce qui surgit après une question. Elle est à l’affiche du film d’Éric Toledano et Olivier Nakache, « le Sens de la fête ».

CLOTILDE COURAU

JOUER OU LIRE, QUELLE DIFFÉRENCE ?

Lire est de l’ordre de la performanc­e unique. Ce n’est pas un spectacle qu’on a répété, il n’y a pas de tournée. Ça a la magie de l’éphémère. QUELLES QUALITÉS REQUIÈRENT LA LECTURE ?

Un juste détachemen­t. Ce n’est pas l’incarnatio­n d’un personnage. Il faut trouver la mesure entre se détacher et habiter. La musicalité de l’auteur doit être palpable.

LE RÔLE DU SILENCE ?

Essentiel. La lecture doit être incarnée pour donner vie à l’auteur. Cela passe par le silence. C’est comme une partition musicale.

LIRE EN PUBLIC, C’EST ?

Être sur un fil entre le public et l’auteur. Nous sommes trois, auteur, lecteur, public. ET LA PLACE DU CORPS ?

Tout dépend du texte, de son énergie. Je lis Mona Ozouf assise. En général, je suis plutôt debout : avec Abd al Malik, pour Karine Tuil, pour Christian Bobin.

LA LECTRICE DE VOTRE VIE ?

Ma grand-mère maternelle, qui me lisait des histoires le mercredi après-midi. Une magnifique conteuse.

VOTRE SIGNE DE PONCTUATIO­N PRÉFÉRÉ ?

Le point qui clôt une phrase, qui termine une pensée. Le point final qu’on ne remet pas en question.

Elle lira « Il était un piano noir », de Barbara, le 26 novembre, lors du festival Le Marathon d’automne à Toulouse. Et participer­a à la journée « Bibliothèq­ue idéale » le 7 décembre à la villa Médicis, à Rome.

JENNIFER DECKER

JOUER OU LIRE, QUELLE DIFFÉRENCE ?

Lire, c’est plus immédiat, plus instinctif. Jouer une pièce demande deux mois de travail. Pour une lecture, on répète trois heures et on y va.

QUELLES QUALITÉS REQUIÈRENT LA LECTURE ? Une immense liberté.

LE RÔLE DU SILENCE ?

Il permet de décoller, d’être transporté par le texte, de faire des variations.

LIRE EN PUBLIC, C’EST ?

Un partage de l’intime.

ET LA PLACE DU CORPS ?

Debout, un peu placé comme celui d’une danseuse, derrière un pupitre. Il disparaît au profit des mots qui claquent. Dès que je peux donner mon regard, je le donne.

LA LECTRICE DE VOTRE VIE ?

Ma mère, qui me lisait des contes.

VOTRE SIGNE DE PONCTUATIO­N PRÉFÉRÉ ?

Les trois points de suspension, comme une invitation à l’imaginaire, un « à suivre ». Elle lira « la Ferme des animaux », de George Orwell, le 19 décembre à la Coupole de la Comédie-Française, à Paris.

JULIE MOULIER

JOUER OU LIRE, QUELLE DIFFÉRENCE ?

La légèreté de la forme rend possible de faire des lectures partout. Dans les salles de classe, les médiathèqu­es des villages… Rares sont les outils qui permettent cela. QUELLES QUALITÉS REQUIÈRENT LA LECTURE ?

La précision. Il convient de décortique­r l’écriture, de donner du relief à l’histoire, d’éviter l’écueil du registre monocorde.

LE RÔLE DU SILENCE ?

On ne peut pas lire si on ne part pas du silence. C’est à partir du silence que la lecture peut naître. LIRE EN PUBLIC, C’EST ?

Emmener dans un monde, un voyage, un imaginaire... Faire confiance aux mots, à leur pouvoir d’évocation. La grande richesse de la lecture, c’est de n’imposer aucune image. ET LA PLACE DU CORPS ?

Passionnan­te parce que paradoxale, surtout pas effacée et pourtant derrière les mots, derrière l’histoire. Le corps est traversé par tous les personnage­s. Les gestes doivent être millimétré­s.

LA LECTRICE DE VOTRE VIE ?

Ma mère, le rituel de l’histoire du soir.

VOTRE SIGNE DE PONCTUATIO­N PRÉFÉRÉ ?

Le point d’exclamatio­n. Lié à la joie, à l’étonnement, à la découverte, à l’enfance. Elle lira « Chroniques des invisibles », de Barbara Métais-Chastanier, les 23 et 24 novembre au Théâtre Ouvert, à Paris.

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