Madame Figaro

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Et je ne sais plus quoi dire, je n’ai pas toujours envie de répondre la même chose ! Le blues, c’est le blues, qu’est-ce que vous voulez… C’est une musique. La difficulté de faire cette musique avec des mots en français, c’est qu’en anglais les mots du blues sont ceux des gens de la rue. Comme la langue française est une langue littéraire, faire passer du blues en français, c’est ce qui a été le plus difficile. Et traduire du blues de l’anglais au français, ce n’est pas possible… J’ai donc choisi des auteurs qui ont écrit des mots simples, mais quand même inscrits dans la culture française. Le blues, c’est la musique qu’il y avait avant le rock’n’roll. Dans les premiers temps du rock en France, on a chanté des choses ineffables comme « Petit Bikini »… C’est inimaginab­le aujourd’hui.

C. A. – Qu’est-ce qu’une chanson bien écrite ?

J. H. – Ce sont des mots intelligen­ts.

C. A. – Il y a une chanson que j’aime beaucoup, c’est « Chavirer la foule ».

Je la trouve superbe, précise, elle raconte tout… dans ce langage universel

« qui parle de nos problèmes ».

J. H. – Elle est dans l’esprit de « Toute la musique que j’aime », mais c’est du blues. Autrement dit, j’ai mal à en crever, mais ça peut être gai, triste, épidermiqu­e, sensuel… C’est difficile d’exprimer vraiment ce qu’est le blues, mais disons qu’à travers lui, je peux vous dire vraiment les choses que j’aime… Je n’ai eu aucun problème à chanter. C’est venu tout seul, j’ai chanté tout simplement, comme on chanterait pour des amis. Comme si on était là, que j’avais une guitare, et puis voilà. Et on l’a fait comme ça. Et c’est comme ça que le blues se fait. Pas avec vingt-cinq musiciens pour en mettre plein la patate à tout le monde. Je pense à la période américaine d’Elia Kazan, à Steinbeck, « Des souris et des hommes »… C’est le vrai combat des hommes de rien pour arriver à pouvoir vivre et survivre.

C. A. – Votre combat à vous pour survivre, c’était quoi ?

J. H. – Ce qui m’a fait le plus mal dans ma vie, ç’a été le mépris. Je n’étais pas allé à l’école, donc il y a des choses que je ne connaissai­s pas, et on me traitait d’abruti. Pendant longtemps, je n’osais pas parler dans les interviews, parce que Johnny Stark, mon premier manager, me disait : « Moins tu parles aux journalist­es, moins tu diras de conneries ! Alors, ne parle pas. » Et, du coup, je disais « oui », « non ». Quand j’étais môme, c’était après la guerre, comme je n’avais pas de père, les gens disaient : « Ta mère t’a eu avec un Allemand. » Ça m’a détruit, j’ai mis longtemps à m’en remettre… C’est la soeur de mon père qui m’a élevé, elle était mariée avec un prince déchu, issu de la famille de l’empereur éthiopien Hailé Sélassié, et qui avait collaboré avec les Allemands avant de venir en France. Tout ça n’a pas été facile. Je ne supporte pas non plus les gens qui humilient les autres parce qu’ils ont de l’argent.

C. A. – En même temps, vous n’êtes pas dans la revanche.

J. H. – Non, je n’ai pas eu envie de faire subir à d’autres ce que j’avais subi moi-même. Et puis, étant né très pauvre, jamais je n’aurais imaginé que je serais un jour célèbre. Si on m’avait dit « tu vas être Johnny Hallyday », j’aurais dit « non, je chante des chansons, c’est tout ».

C. A. – Mais êtes-vous content que ce soit arrivé quand même ?

J. H. – … C’est beaucoup de tracas, mais oui, je préfère ça plutôt que d’être resté dans la rue. Mais il faut être assez costaud pour l’affronter. Et puis, il y a tous ces gens qui viennent me voir et qui m’aiment vraiment, je veux les respecter en faisant honnêtemen­t mon métier.

C. A. – Et des gens faux, vous en avez rencontré ?

J. H. – Beaucoup ! On en vient à se poser des questions du genre : « Estce que je vis avec la femme avec qui il faut vraiment que je vive, parce qu’elle m’aime pour moi, ou est-ce qu’elle m’aime pour autre chose ? »

C. A. – Il y a des interprète­s, on croit qu’ils sont en train d’éprouver ce qu’ils chantent… Vous, par exemple, on est convaincu que les sentiments qui sont chantés, vous les éprouvez, vous les avez éprouvés…

J. H. – Et pourtant, pas toujours ! Je crois que cela vient d’une façon que j’ai de savoir transmettr­e ce que je vis à travers mes émotions, et que, vous, vous pourriez écrire. Je serais incapable de rester derrière un micro à chanter des chansons les unes après les autres sans rien ressentir moimême… C’est la raison pour laquelle j’aime tant Brel. Quand je l’ai entendu chanter sur scène « Amsterdam » ou « Ces gens-là », j’ai pleuré. C’est le seul mec qui m’ait fait pleurer dans ma vie. Le blues est un état d’esprit, des sentiments à l’état pur… Moi, j’aimerais vivre jusqu’au mariage de ma fille de 3 ans, parce que j’aimerais connaître le mec avec qui elle va se marier.

C. A. – Pourquoi voulez-vous le connaître ?

J. H. – Parce que je voudrais partir tranquille, savoir que ça va, qu’elle a fait le bon choix. Et ne pas me dire : sur qui va-t-elle tomber ? Ça fait partie du blues, ça !

Extraits d’une interview réalisée en 2007 par Patricia Boyer de Latour. Dernier roman de Christine Angot : « Un amour impossible », chez Flammarion.

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