GÉRARD DEPARDIEU en toute liberté
À FORCE D’ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME
UN OGRE ET UN MONSTRE, Depardieu aurait-il intériorisé ce regard sur lui au point d’en faire le titre de son dernier livre ? Bien sûr, il agit par provocation, laquelle est d’autant plus efficace que cet opus est avant tout un cri d’amour, un appel à la vie, à l’intensité, mais aussi à la douceur et à la tendresse. C’est à la fois une confession et un poème, un plaidoyer et un pamphlet, et un texte que l’on aurait envie d’entendre sur une scène de théâtre. Chaque phrase vaut comme aphorisme, chaque phrase est un monde en soi, et il y en a de très belles. Depardieu se raconte à travers les cinéastes avec qui il a fait chemin – Pialat, Truffaut, Duras… –, mais aussi ces Italiens qu’il a adorés, avec qui il a créé et festoyé dans un même élan – Fellini, Mastroianni, Bertolucci… Tous des monstres ! Car c’est quand même bien de ça dont il est question : Depardieu non seulement accepte sa part monstrueuse, mais il la revendique comme indissociable de la liberté. Depardieu est un sauvage, un Indien, c’est là ce talent qui a fait l’immense acteur qu’il est. Pourquoi dans la vie devrait-il être toujours respectable et raisonnable ? On comprend dès lors sa colère, dont il ne se cache pas, contre la presse people qui le harcèle
– « les petits comptables de leur image » – et tous ceux qui jugent ses excès. Il apostrophe par ailleurs une époque harcelée par la surinformation, Internet, l’hypertransparence et l’hypercontrôle, cocktail asphyxiant qui n’autorise plus « le temps de ressentir » ; une société qui demande
« une énergie folle » pour y survivre et y perdre tout désir, qui dramatise outrancièrement la mort et entretient la peur. Ces mots de Depardieu, homme qui « refuse d’être apprivoisé », qui récemment chanta si bien sa chère Barbara (au Cirque d’Hiver à Paris), donnent envie de se secouer les puces, de devenir nous-mêmes. I. P.