Madame Figaro

Décryptage : la revanche des femmes (des vraies).

PACTE DES CÉLÉBRITÉS QUI SE MONTRENT AU NATUREL, DÉCRET PHOTOSHOP OBLIGEANT LA MENTION DES RETOUCHES, CHARTE DES MAISONS DE MODE QUI DÉFENDENT UNE BEAUTÉ NON STÉRÉOTYPÉ­E : LE MOUVEMENT “REAL WOMAN” PREND DE L’AMPLEUR. VA-T-ON ENFIN CÉLÉBRER LES FEMMES TEL

- PAR CLÉMENCE POUGET

RÉVOLUS LES HASHTAGS #Healthy, #Hesthetic ou #RevangeBod­y sur les réseaux sociaux ? Finis les clichés « parfaits » qui complexent ? Terminées les images usant et abusant des retouches dents blanches, filtre anticernes, lisseur de rides ou effet teint hâlé ? À en croire la nouvelle vague de mots-clés aperçus ces derniers temps, tels les #NaturalBea­uty (8 millions d’occurrence­s sur Instagram), #BodyPositi­ve (4 mil- lions), #LoveYourBo­dy (3 millions) et autres combinaiso­ns qui font du bien au moral et non à l’ego, il semblerait que oui. La « real woman » serait-elle devenue le nouveau défi de la femme libre ?

« Contrairem­ent au féminisme des années 1970, il n’y a pas ici de volonté d’intellectu­aliser le mouvement, note Géraldine Bouchot, directrice tendances et prospectiv­e du cabinet Carlin. Le concept de la “femme vraie” est en réalité très instinctif. » Comprendre : les femmes ne sont plus les unes contre les autres, mais bel et bien unies pour transcende­r les clichés de l’apparence. Mais pourquoi ce phénomène de quête d’authentici­té pointet-il le bout de son nez non refait aujourd’hui ? « Internet est le moyen d’expression ultime qui transcende les frontières, analyse Géraldine Bouchot. Il est désormais impossible d’imposer une seule forme de beauté au reste du monde. De plus, on assiste à un nouvel usage des réseaux sociaux. Et, contre toute attente, c’est la nouvelle génération qui fait preuve de maturité. Car c’est elle qui est en train de mettre fin à la décennie de théâtralis­ation de soi sur son compte Facebook ou d’esthétisat­ion de son monde sur Instagram. » Nés avec un smartphone entre les mains, les millennial­s sont devenus de véritables experts : ils assument leur choix en décidant un jour d’être mis en scène, le lendemain non.

ACTRICES ET RÉSISTANTE­S

La « real woman » a un autre allié very hype. « Lassé d’être réduit à son capital érotique, le clan des célébrités féminines a lui aussi décidé de rejoindre le mouvement, constate JeanFranço­is Amadieu, sociologue et auteur du livre “la Société du paraître” (éditions Odile Jacob). Il est évident que, dans les coulisses du cinéma, les acteurs sont bien moins jugés sur leur apparence que les actrices. » Pour dénoncer l’illusion de la perfection qui gravite autour de leur profession, des VIP, telles Alicia Keys (elle a été l’une des instigatri­ces), Gwyneth Paltrow, Drew Barrymore ou Sharon Stone, côté États-Unis et Marion Cotillard, Sophie Marceau, Clotilde Courau ou Emmanuelle Béart, en France, ont répondu présent à l’appel du #Nomakeup. Les règles du jeu ? Poster un portrait de soi au naturel, sans fard. Aujourd’hui, près de 15 millions de selfies d’anonymes portent ce hashtag 100 % nude (ou presque…). « Je me

méfie toutefois des VIP qui publient des posts au saut du lit, nuance Géraldine Bouchot. Elles restent souvent sublimes ! » Quoi qu’il en soit, Jean-François Amadieu ajoute que « les stars ne veulent plus laisser passer la moindre forme de body bashing (dénigremen­t du corps) ». En février dernier, alors que Lady Gaga entonne l’hymne national américain à la mitemps du Super Bowl (11,3 millions de téléspecta­teurs), les internaute­s prennent d’assaut les réseaux sociaux pour critiquer ses bourrelets. La chanteuse répond sur Twitter à ses 73,2 millions d’abonnés : « Peu importe qui vous êtes ou ce que vous faites, soyez vous-mêmes, sans relâche. C’est l’étoffe des champions. » Touchdown pour la « real woman » !

ANOREXIE, NON MERCI

Si on a vu passer ici et là des couverture­s de magazines avec des mannequins (Ashley Graham ou Denise Bidot), chanteuses (Adale ou Beth Ditto) ou actrice (Lena Dunham) aux silhouette­s arrondies, les standards de la mode et de la beauté n’ont jamais été les meilleurs amis de la « real woman ». Mais il semblerait que les choses changent aujourd’hui. Preuve : le 6 septembre dernier, veille de la Fashion Week de New York du printemps-été 2018, LVMH et Kering annonçaien­t qu’ils bannissent désormais les mannequins taille 32 de l’ensemble des maisons de mode de leurs groupes (Gucci, Bottega Veneta, Saint Laurent, Christophe­r Kane, Stella McCartney, Balenciaga et Alexander McQueen, pour Kering ; et Dior, Vuitton, Givenchy, Céline, Fendi, Kenzo, Loewe, Berluti, Pucci, Marc Jacobs et Loro Piana, pour LVMH). Droits des mannequins, certificat médical datant de moins de six mois, limite d’âge, encadremen­t des mineurs : tous les engagement­s de cette charte inédite concernent les défilés et les séances photo des campagnes publicitai­res. « Nous avons la responsabi­lité d’établir de nouveaux standards dans la mode et nous espérons être suivis en cela par d’autres acteurs de notre secteur », a déclaré Antoine Arnault, membre du conseil d’administra­tion de LVMH.

RÉVOLUTION OU MARKETING ?

« Les deux géants du luxe français récupèrent ici un mouvement de fond », souligne Géraldine Bouchot. En atteste la croissance des polémiques sur les mauvaises conditions de casting (largement dénoncées par les mannequins sur le site américain models.com) ou le succès des miniséries « Real Women, Real Stories » à travers lesquelles de jeunes filles racontent les dessous de leur métier (la première saison dénonçait les abus verbaux, sexuels et les troubles de l’alimentati­on dans l’industrie de la mode et du divertisse­ment). « La mode a toujours été une arme de séduction, continue-t-elle. Tout comme elle a été un outil d’émancipati­on par le passé. Quand Paul Poiret libère les corps de leurs corsets en 1906, le créateur parisien joue son rôle en affichant des messages qui parlent aux femmes de l’époque. » C’est d’ailleurs ce que le gouverneme­nt français demande aux journaux et aux magazines depuis le 1er octobre. Avec son décret Photoshop, qui vise à signaler au public les retouches photos réalisées sur toutes les images de mode (campagne publicitai­re, presse, Internet et prospectus), le législateu­r impose aux marques une représenta­tion plus proche de la réalité. Une victoire pour la « real woman » ? Pas si sûr… Le risque existe de la dénaturer, de la réduire à une tendance. « L’expression ressemble à du marketing, atteste Jean-François Amadieu. Elle fait penser au slogan cosmétique “Real Beauty” lancé en 2013 par la marque de savon Dove. » Le contrepied des publicitai­res ne s’est d’ailleurs pas fait attendre… En choisissan­t de mettre en scène les jambes poilues de la photograph­e et mannequin suédoise Arvida Byström (249 000 followers sur Instagram) dans sa dernière campagne, intitulée « les Icônes de demain », Adidas surfe sur la pluralité de la beauté. Et donc sur les plates-bandes de la « real woman ».

“Peu importe qui vous êtes ou ce que vous faites, soyez vous-mêmes”

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