Madame Figaro

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Charlotte Gainsbourg porte une veste en laine et un pantalon, Céline.

- PHOTO TIAGO BANDERAA (H&K) / RÉALISATIO­N NATALIE YUKSEL

Coiffure Akihisa. Maquillage Kanako Takase.

ACover/story« À 44 ANS, J’AI AIMÉ LA FRANCE DE TOUT MON COEUR, PUISQUE LA FRANCE EST TOUT CE QUI ME RESTE DE MA MÈRE, et sans doute n’est-il pas permis d’aimer un seul être à ce point, fût-il votre mère. » Cette phrase de Romain Gary condense l’essence même de « la Promesse de l’aube », son grand livre d’inspiratio­n autobiogra­phique qui passe d’une bibliothèq­ue à l’autre, de génération en génération depuis plus de cinquante ans. « La Promesse de l’aube » prend soudain une dimension populaire, au sens noble du mot, dans le dernier film d’Éric Barbier * – avec Pierre Niney dans le rôle de Romain Gary – et donne un nouveau visage à Mina Kacew, sa mère – celui de Charlotte Gainsbourg. Ce livre ne vieillit pas, parce qu’il promet aux mères d’être pardonnées d’aimer trop leur fils et qu’il donne aussi une bonne raison aux fils d’avoir le défaut d’avoir été trop aimés. Bien que tous ne deviennent pas, comme Gary, écrivain – deux fois Prix Goncourt –et ambassadeu­r de France pour accomplir le rêve d’une mère qui voulait qu’il soit célèbre de son vivant.

Rendez-vous avec Charlotte Gainsbourg, un matin froid d’hiver new-yorkais, dans un hôtel aux boiseries sombres, avec une vraie cheminée qui crépite, dans un petit box en cuir rouge et sans musique de fond. Elle arrive, l’allure décidée, la poignée solide, le regard pétillant et la voix très assurée, pour défendre son premier rôle de vieille dame au cinéma.

« MADAME FIGARO ». – Vous souvenez-vous de l’effet qu’a eu ce livre sur vous la première fois que vous l’avez lu ?

CHARLOTTE GAINSBOURG. – Étonnammen­t, je ne l’avais pas lu adolescent­e, ni en classe, alors que c’est vraiment un incontourn­able. Peut-être que Gary n’était pas au programme pendant les années Mitterrand, classé un peu réac ? Je ne l’ai lu que récemment, quand Éric Barbier m’a parlé de son projet de film, et pratiqueme­nt en même temps que le scénario, qui est très fidèle au roman. Bizarremen­t, mes enfants, eux, le connaissai­ent, et mon fils l’avait lu.

Avez-vous reconnu quelque chose de vous dans cette mère fusionnell­e avec son fils ?

J’ai d’abord vu ma grand-mère, son amour inconditio­nnel pour son fils – mon père. Mais aussi ma belle-mère avec Ivan (NDLR : Attal). Ce sont des clichés de mère juive dans lesquels je me reconnais. Moins dans l’exubérance que dans l’amour inconditio­nnel, le « trop, trop » ! Sur le tournage, Éric me ramenait toujours à quelque chose de monstrueux. Lui, il le vivait comme fils ; moi, je le vivais comme mère. Je voyais bien ce que Nina (NDLR : le prénom de la mère de Romain Gary dans le livre) avait d’excessif, mais la fantaisie prenait toujours le dessus sur l’aspect mère vampirisan­te et abusive.

Tout de même, elle est écrasante, envahissan­te, et son amour maternel est sans limites…

Oui, mais ce qui est très surprenant dans le roman et dans le film, c’est qu’elle ne s’en cache pas. Elle forme un couple avec son fils, et cet amour passionnel mais jamais incestueux est vécu au grand jour. Nina n’est pas du tout une mère qui cajole et qui surprotège son enfant. Elle a en elle une brutalité et une violence presque masculines. C’est une mère qui donne à son fils sa place d’homme dans la vie, elle le pousse follement à devenir un grand homme dès sa petite enfance.

Était-ce facile de jouer avec Pavel, ce petit garçon polonais qui interprète Gary enfant à Vilnius ?

Il a fallu parfois que je sois brutale, afin de lui faire sortir des choses. Mais lui, il a tout donné pour faire le mieux possible. C’était magique pour moi d’en être témoin, parce que cela me ramenait à « l’Effrontée », et même à « Paroles et musique ». Je voyais dans les yeux d’un enfant ce que le cinéma pouvait encore provoquer, et c’était incroyable.

Et comment êtes-vous devenue la mère de Romain Gary, jeune adulte, interprété par Pierre Niney ?

Au début, j’étais hyperintim­idée parce que je n’osais pas toucher Pierre physiqueme­nt comme une mère. Tous les gestes naturels avec

un enfant avaient disparu. Tout d’un coup, j’avais un homme comme fils entre les bras, et je n’avais pas immédiatem­ent une gestuelle familière avec lui. Pierre m’a aidée à la retrouver.

Vous avez dû apprendre vos dialogues en polonais, mais parliez-vous déjà un peu le russe ?

Non, pas du tout, mais j’ai la musique russe en tête, j’ose le dire, même si mes tantes vont hurler en lisant ça ! Ce n’est pas aussi familier que l’anglais a pu l’être dans mon enfance, mais c’est une langue chantante qui résonne à mes oreilles. C’est l’accent russe très fort de ma grand-mère, une femme très importante dans ma vie, qui est morte quand j’avais 13 ans. Elle était une figure majeure de ma famille, notre emblème de la culture russe et juive, même s’il n’y avait rien de religieux chez elle. Mon père, lui, comprenait les insultes russes parce que ses parents s’insultaien­t en russe.

Mais votre grand-mère ressemblai­t-elle à Nina ?

Par son côté Russe émigrée, bien sûr, et aussi par son amour de la France, complèteme­nt.

Mes grands-parents, qui étaient des musiciens, ont quitté la Russie en 1917, au moment de la révolution, et il n’y avait pas d’autre destinatio­n pour eux que la France. D’ailleurs, ils ont donné des prénoms archifranç­ais à leurs enfants – Serge, Liliane et Jacqueline –, avec cette idée de s’intégrer tout de suite, d’effacer le russe, presque. Ma grand-mère n’a jamais voulu retourner en Russie, mais j’ai lu les journaux intimes que mon grand-père avait écrits, où l’on sent une nostalgie des paysages russes de son enfance.

Ils venaient de Tbilissi et d’Odessa. J’avais une passion pour ma grand-mère, tout simplement parce qu’elle m’adorait. J’étais la fille de mon père ! Kate et moi étions ses petites chéries, qu’elle gâtait en douce.

Alors la Nina Kacew du film est née de tout cela ?

J’ai fait une sorte de salade russe de tout ce qui ’importait : ma grand-mère, le côté russe de mon père, sa cigarette aussi, puisque Nina fumait comme un pompier dans le roman

– des gauloises, pas des gitanes – et dans le film aussi.

Et vous n’avez pas pensé à votre propre mère ?

Pas du tout, à part les gauloises qu’elle a fumées aussi. Ma mère, pour moi, c’est l’image de la classe absolue, de la beauté, de la pureté et de la grande intelligen­ce. Nina, c’est quelqu’un qui réagit viscéralem­ent avec ses tripes. C’est un tout autre genre de femme. Et puis je ne pouvais pas avoir mille images de femme en tête. Et moi, j’avais vraiment ma grand-mère, « mamie », en miroir, qui cuisinait pour nous, le dimanche, le bortsch, les pirojki…

C’est la première fois que vous jouez un personnage beaucoup plus âgé que vous…

J’ai adoré ça ! En fait, on me demande souvent d’être moi-même au cinéma, surtout en France. Ici, entre la transforma­tion physique et le polonais, une langue que j’ai prise à bras-le-corps, j’avais une carapace dans laquelle je n’avais plus qu’à entrer. C’était génial, parce que je n’existais plus trop en tant que Charlotte. Je ne faisais pas le clown mais presque, dans un déguisemen­t total. Et ne pas avoir à se soucier d’être jolie ou pas, pour moi, c’était une forme de libération. Même si je n’ai jamais eu à défendre une beauté au cinéma, j’ai toujours eu conscience physiqueme­nt de ce dont j’avais l’air. Que voulez-vous dire ?

Ma qualité première, si je puis dire, n’a jamais été la beauté, mais ç’a toujours été important d’être bien filmée. Là, je suis vieille et moche mais très bien filmée. En tant qu’actrice, on devrait se ficher de quoi on a l’air, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça. Je revoyais avec mes filles « Vacances romaines », de William Wyler, et l’on a beau dire, le charisme et la beauté des actrices comptent beaucoup. Cela fait partie du jeu !

Alors comment avez-vous abordé le vieillisse­ment ?

En plus de l’ajout, au maquillage, de fausses rides, il a très vite été clair que j’étais trop maigre, que je n’avais pas d’épaules, donc pas le poids du rôle. J’avais toujours en tête la silhouette de ma grand-mère, charnelle et ronde. On a décidé qu’il fallait m’ajouter des hanches, des seins, et même des seins qui tombent avec l’âge. J’avais une perruque, un faux ventre, de fausses fesses, de fausses hanches, de faux seins et même un faux dos. Tout était faux ! Le pire compliment que l’on m’ait fait est venu d’Ivan, qui, après m’avoir dit tout le bien qu’il pensait sur mon jeu d’actrice, m’a lancé : « Mais c’est dingue comme ils ont réussi à te faire de faux mollets ! » Et c’est la seule chose qui est à moi !

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PAR ÉLISA LACOUME PHOTOS TIAGO BANDERAA (H & K) RÉALISATIO­N NATALIE YUKSEL L’art de la métamorpho­se
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