LES RÉVOLTÉES DE HOLLYWOOD
LA PROTESTATION FÉMINISTE GRONDE DANS LA MECQUE DU CINÉMA DEPUIS LE SCANDALE WEINSTEIN. AUX DERNIERS GOLDEN GLOBES, LES STARS MILITANTES SE SONT MISES EN ÉTAT DE MARCHE, UNIES DANS LEUR DÉTERMINATION À RÉFORMER UN MILIEU JUGÉ DISCRIMINANT. UN TOURNANT DAN
minimisé : on comprend que c’est un abus de pouvoir et on commence à en saisir la dimension “systémique”. »
CHANGER LA DONNE
Aux actions coups-de-poing ( les prochains oscars, le 4 mars, promettent également d’être le lieu de toutes les tribunes) s’ajoute une volonté de réforme en profondeur. Créée après les événements et rassemblant des acteurs majeurs de l’industrie, une commission étudie ainsi une stratégie à adopter pour garantir aux femmes un environnement de travail sécurisé, une protection en cas de harcèlement, l’égalité salariale, un traitement respectueux sur les tournages et un décloisonnement. « Les genres obéissent à une répartition implicite : aux hommes, les films d’action, de guerre ou les thrillers ; aux femmes, les “histoires de filles”, adolescentes ou adultes, dans le cadre de l’intime et de la vie domestique », explique Brigitte Rollet (2), spécialiste du cinéma et de la télévision, enseignante à Sciences Po. À l’aune des scandales, le succès mondial de « Wonder Woman », porté par deux femmes – d’une part, l’actrice Gal Gadot, d’autre part, la réalisatrice Patty Jenkins –, pourrait changer la donne. Une première dans l’univers grand public des films d’action. Alors qu’en 2016 les femmes ne représentaient que 7 % des cinéastes chargés des deux cent cinquante plus gros succès du box-office américain, la proportion pourrait faire un bond. Disney a déjà confié à trois réalisatrices trois projets de plus de 100 millions de dollars de budget, mettant en scène des héroïnes, s’attaquant ainsi à l’un des derniers bastions du monopole masculin, le sacro-saint blockbuster, manne hollywoodienne du moment. Ava DuVernay a mis en scène « Un raccourci dans le temps », Niki Caro dirigera « Mulan », et Anna Boden coréalisera « Captain Marvel ». Chez Sony, un spin-off de « SpiderMan » et un remake de « Drôles de dames » seront, eux aussi, dirigés par des femmes. « Avec des films comme
“Mad Max : Fury Road”, avec Charlize Theron, et “Wonder Woman”, les studios se sont enfin aperçus que les femmes allaient au cinéma et attendaient des personnages auxquels s’identifier, explique Emmanuelle Spadacenta, rédactrice en chef du mensuel spécialisé “Cinemateaser”. Mais il ne faut pas se leurrer : si les femmes accèdent à d’autres genres, c’est qu’elles ont un potentiel commercial. »
L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT?
Ces projets, lancés avant le scandale Weinstein, tombent à pic et collent parfaitement à l’ambiance féministe radicale qui règne aujourd’hui dans l’industrie américaine. Mais n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Cette révolution des institutions qui remet en perspective la place des femmes dans le cinéma durera-t-elle ? Que se passera-
t-il au-delà des prochains oscars, annoncés d’ores et déjà comme un raz de marée féminin ?
EXIT LES STÉRÉOTYPES ?
À Hollywood, l’argent est le nerf de la guerre. Pas l’éthique. « L’industrie hollywoodienne étant “allergique” aux risques, elle sera toujours plus encline à entériner des changements sociaux qui ont déjà eu lieu qu’à les favoriser », ajoute Charles-Antoine Courcoux. Et, au regard de l’impact provoqué par les révélations récentes, le public n’est plus prêt à avaler les couleuvres de la discrimination. Des actrices à succès, comme Reese Witherspoon (« Big Little Lies ») ou Jessica Chastain (qui a déclaré qu’elle ne jouerait jamais dans un film de Woody Allen, accusé d’agression sexuelle par l’une de ses filles adoptives), construisent d’ailleurs leurs carrières en ce sens, s’assurant d’un certain contrôle sur le choix des équipes et l’écriture à travers leurs activités de productrices, par exemple. Les stéréotypes vont-ils voler en éclats ? Avec les années, « Star Wars », saga emblématique s’il en est, s’est féminisé : dans le récent opus, « les Derniers Jedi », les actrices (Daisy Ridley en tête) sont mises à l’honneur. « La femme devient peu à peu l’égale de l’homme, dans ce domaine comme dans les autres sphères de la société. Nous ne sommes qu’au début de cette féminisation décomplexée de genres précédemment dévolus aux hommes », expliquait déjà en 2014 Scarlett Johansson lors de la sortie de « Lucy », de Luc Besson. Pour en revenir à « Star Wars », la franchise intergalactique possède un atout maître : Kathleen Kennedy, patronne de Lucasfilm et productrice super puissante à Hollywood, qui prône la tolérance zéro envers les discriminations. Également désireuse de faire avancer les mentalités, Stacey Snider, nouvelle CEO de la Fox, a créé un laboratoire afin de promouvoir l’embauche des réalisatrices pour les films à gros budget. Son objectif : encourager de nouvelles voix, celles de la diversité, à s’exprimer dans des films de studio.
CONTRECHAMP
Confier davantage de responsabilités aux femmes, en coulisses ou derrière la caméra, ne garantit en rien un traitement adéquat. Selon CharlesAntoine Courcoux, « Wonder Woman », par exemple, n’est pas irréprochable. « Il donne à voir une guerrière magnifiée comme une danseuse. Ainsi, elle entre sur le champ de bataille comme une mannequin sur un podium. De la même manière, son parcours est structuré par l’amour pour un homme, et elle ne remet jamais en question l’autorité de Zeus. Enfin, le film évacue toutes les connotations lesbienne et sadomasochiste qui existaient dans les comics. L’héroïne a été débarrassée d’un certain nombre de facteurs porteurs pour l’autonomie des femmes ou la pluralité des modèles féminins représentés. »